(Nous rappelons que les opinions de nos contributeurs n’engagent qu’eux et ne lient en aucun cas la rédaction de la Pravd’Assas, ndlr)
Mehdy Kadri étudiant en troisième année de droit à Assas, est autant passionné de sport que de contestations en tout genre.
Le 13 Novembre 2015, l’ensemble des témoins de la tuerie de Paris a assisté à l’horreur et n’a pu que contempler tristement le désastre que la France pleure encore. En guise de réplique, le gouvernement français a presque instantanément décidé de recourir à la procédure instituée par la loi du 3 Avril 1955 sur l’ensemble du territoire. Façonnée, au moment des troubles nés de la guerre d’Algérie, cette loi disposant d’une mesure exceptionnelle dénommée « état d’urgence » n’a raison d’exister que par la mise en place de mesures permettant d’endiguer « un péril imminent » ou, « des événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ». Ainsi, en application de cette disposition, des mesures d’exceptions peuvent être prises en réponse à des circonstances les justifiant, dans l’unique but de parvenir à garantir la sécurité au sein de l’Etat.
L’état d’urgence permet une multiplication vertigineuse des possibilités d’action des organes de l’état pour garantir la sécurité. Depuis le Décret l’instituant, certaines procédures telles que des perquisitions administratives, des assignations à résidence expresses ou encore des interpellations en chaîne ont pu être valablement administrées sur l’ensemble du territoire. Si le prompt recours à l’état d’urgence par décret ne peut être contesté en aucun cas sur sa régularité et sera aisément justifié par l’efficience des services de police au regard de l’intervention meurtrière du 18 Novembre à Saint Denis, c’est sa prorogation de trois mois qui interpelle.
En effet, dans le respect de l’article 3 de la loi de 1955 qui l’impose, l’état d’urgence ne peut durer plus de douze jours et sa prorogation doit être autorisée par une loi. Le 23 Novembre une loi de prorogation a été prise presque à l’unanimité par l’Assemblée Nationale en parallèle des manœuvres internationales du Président François Hollande pour satisfaire à la sécurité et adresser une réponse sanglante à la tragédie parisienne. La réplique a en façade le mérite d’être éclaire, visible et menaçante mais en réalité elle est à la fois irrégulière et inconsidérée.
L’essence même de l’état d’urgence est de répondre par des mesures exceptionnelles à un « péril imminent ». C’est l’urgence qui justifie les entorses aux procédures classiques et la violation de certaines libertés. Dans l’urgence il faut agir furtivement pour empêcher que le péril imminent ne se transforme en désastre mais aussi parce que les pouvoirs d’exceptions sont enfermés dans un délai très court de douze jours dans le but de garantir le respect de l’Etat de droit. Si l’urgence doit être caractérisée pour instaurer un tel état et le justifier valablement, il est nécessaire que celle-ci perdure tout au long de la durée impartie. Or, au moment de la prolongation de l’état d’urgence par l’Assemblée Nationale, l’ensemble du commando assassin n’était plus en vie à l’exception de Salah Abdeslam, qui est toujours en fuite et selon les dernières informations aurait rejoint la Syrie.
L’urgence n’est donc plus caractérisée par la présence sur le territoire des assaillants et le « péril imminent » a été éradiqué. Bien que la menace d’une itération d’attentat plane toujours dangereusement sur la France et ait été réaffirmée par l’état major de DAESH, le « péril imminent » nécessaire à la mise en place de l’état d’urgence n’est plus caractérisé et en conséquence la mesure est vidée de sa raison d’être.
Ainsi, lorsque l’Assemblée Nationale décide le prolongement de 3 mois d’une mesure nécessitant un « péril imminent » qui n’existe plus, elle adoube solennellement toutes les conséquences liberticides de sa mise en œuvre. Dès lors, il ne s’agirait plus d’une mesure d’exception mais de la situation de principe que doit adopter la France dès que la menace pèse sur elle, ce qui est irrémédiablement inconciliable avec la pérennité de l’Etat de droit.
Si la prorogation peut produire ses effets pour trois mois, pourquoi pas six, neuf ou même une année ? Si DAESH ne s’est pas élevé en deux jours, le démanteler ne le sera certainement pas en si peu de temps et qui sait quelle manœuvre politicienne pourrait entraîner les représentants français à prolonger l’état d’urgence pour « rassurer » les français.
En revanche, une chose est sûre, si les arguments qui corroborent la dérogation à la lettre de la loi sont aussi probants que ceux précédemment avancés, il ne fait aucun doute qu’il sera facile de justifier l’existence d’un régime d’urgence, sous couvert de sécurité, en dépit de l’Etat de droit.
Il est nécessaire d’ajouter que, par ailleurs et de façon encore plus alarmante, il existe en droit français un contrôle de la loi vis à vis de la Constitution assuré par le Conseil Constitutionnel. Il faut en revanche qu’il soit saisi pour se prononcer sur cette constitutionnalité. Ce contrôle a deux natures, d’abord l’une des procédures vise à contrôler la constitutionnalité de la loi par une saisine à priori de sa mise en vigueur tandis que l’autre l’est à postériori. Les acteurs de cette saisine a priori sont ceux mêmes qui ont institué la loi de prorogation et aucun d’eux n’a jugé bon de la soumettre à la lecture des sages, laissant béantes les portes de l’insécurité juridique.
En effet, après une saisine à posteriori du Conseil constitutionnel par un justiciable lors d’une instance judiciaire ou administrative, il suffirait que les sages censurent la loi de prorogation de l’état d’urgence pour que l’ensemble des procédures prisent sur son socle soient déclarées nulles rétroactivement. D’une part cela anéantirait des mois d’investigation ainsi que certains progrès cruciaux et d’autre part, se serait la sanction de la précipitation et de l’insouciance dont a fait preuve le législateur au moment de se prononcer en faveur de l’abolition de l’Etat de droit.
Est-ce par une volontaire omission nourrie de la certitude d’une censure inéluctable que les représentants investis d’un pouvoir de saisine a priori ne l’ont pas faite ?
Quoi qu’il en soit, la seule certitude reste que le choix d’échapper à la saisine à priori du Conseil constitutionnel pourrait être la décision la plus préjudiciable de toutes celles qui ont été prises, tant sur le plan de la prudence que sur celui du respect des principes fondamentaux. Cela constitue une tentative indélicate et peu efficace de contourner un système pensé pour veiller au respect des droits les plus impérieux, qui, en plus de rester veine, sera vraisemblablement farouchement sanctionnée par les potentielles nullités en cascade qui pourraient en résulter.
S’il est vrai que la sécurité est une nécessité indéniable, elle doit être assurée dans le respect du cadre de l’Etat de droit et des libertés qui ne peuvent être occultées en vertu de la psychose généralisée, conséquence directe des atrocités commises par les bouchés du 13 Novembre.
En effet, l’Etat français tente de compenser ses carences en terme d’effectif policier, judiciaire et de renseignement qui trouvent leur cause dans un progressif essoufflement des ressources leur étant alloué. Le revers de la médaille est celui qui éteint les droits et s’il persiste il se muera en un lourd fardeau que devra porter la France.
La réalité est celle-ci : des perquisitions administratives qui nécessitent seulement l’approbation d’un préfet, n’étant pas une autorité judicaire, des arrestations parfois et même trop souvent sans réel motif, elles violent presque l’ensemble des dispositions concentrées dans le Code de procédure pénale ainsi que le droit fondamental à la vie privée doublement garanti par la Convention Européenne des Droits de l’Homme et la Constitution. Il en va de même pour les assignations à résidence jugées opportunes sans respect de la procédure dont il résulte la violation directe et sans partage du droit au procès équitable que le Conseil Constitutionnel érige comme un droit fondamental (CC, n° 2004-510 DC du 20 janvier 2005, Loi relative aux compétences du tribunal d’instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance), aussi garanti par l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Toutes ces procédures sont justifiées par les pouvoirs d’exception issus de l’état d’urgence. Blaise Pascal disait : « La justice sans la force est impuissante, la force sans justice est tyrannique », et pour cause, lorsque le service public de la justice est instrumentalisé pour organiser une réelle chasse aux sorcières liberticide et sans règles, les conséquences peuvent devenir dramatique.
La prorogation de l’état d’urgence a pour but d’optimiser les mesures prises pour la sécurité et de mieux la garantir. Cependant, si c’est au mépris des libertés, il n’est guère d’autre issue que celle menant au cercle vicieux d’un affaissement des libertés qui deviendra générateur d’insécurité.
Ces mesures instaurent un climat d’insécurité social et juridique sur les citoyens français. Comment se défendre efficacement si aucun droit n’est respecté et que l’arbitraire de décisions contraignantes ne peut-être débattu ?
Dès lors la menace ne sera plus occulte et sa base ne sera plus lointaine mais se dévoilera peu à peu pour ne découvrir que la pâle figure honteuse de l’Etat français, devenant le bourreau de la sécurité de ses propres citoyens. Le glaive de la justice n’a pas de fourreau en ce qu’il est immuablement brandi et prêt à servir, mais s’il est manié par l’arbitraire il en deviendra une arme létale dirigée contre ce qu’il défend lui même : ce pourquoi nous sommes aujourd’hui attaqué. Les premières victimes seraient alors ces joyaux si difficilement polis que sont nos droits.
Il reste vrai que la France ne doit pas rester sans réponse devant les menaces qui pèsent sur elle, il en va de notre protection à tous alors que notre droit à la vie est, sans équivoque, prit pour cible. Cependant la fin ne justifiera jamais les moyens dans un Etat de droit , et rester muet devant nos représentants lorsqu’ils brandissent en étendard l’état d’urgence en nous le présentant comme seule alternative crédible, c’est accepté l’inverse.
En réponse, l’Etat peut agir avec d’autres moyens en ce qu’il dispose d’une marge de manœuvre conséquente pour combattre les menaces qui pèsent sur lui par l’élargissement des effectifs de police, de justice et de renseignement. Il faut pour se faire que soit mis à leur disposition un arsenal juridique efficace mais aussi respectueux des droits et libertés. C’est le seul moyen crédible pour que la France combatte avec dignité ses assaillants.
Pour l’instant et jusqu’à une incertaine décision de censure, la sécurité est instrumentalisées par le prisme de l’état d’urgence pour légitimer le recours à des procédures liberticides. Pourtant, l’état d’urgence a pour but de protéger la pérennité de l’Etat de droit, pas de le remplacer. Si les conditions de mise en œuvre de l’état d’urgence doivent être rigoureusement réunies, c’est justement pour garantir l’Etat de droit et éviter un glissement vers un régime d’urgence.
Enfin, une chose est sûre : l’Etat de droit n’est pas un concept qui se réduit ou s’agrandi selon les circonstances, plus macabres soient-elles, mais doit être au contraire d’une rectitude sans pareille en tout état de cause, sans quoi, il ne représente rien, si ce ne sont que des mots. Opposé au colosse de l’injustice qui lui fait face les mots pèsent peu s’ils ne sont pas armés et c’est par le glaive juste et sans fourreau qu’il faudra le combattre.
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