
Amoureux, amoureuses, zoophiles, gérontophiles ou simples mégalomanes, vous tous que de tendres sentiments animent, vous tous qui vous apprêtez à fêter comme il se doit le 14 février alors que le 15, jour de ma naissance, n’a pas encore été reconnu fête nationale…
Vous tous enfin, ravis à l’idée d’emmener votre moitié au restaurant (chez KFC), au cinéma (American Pie) ou encore qui la couvrirez de cadeaux (coffret pété de chez Yves Rocher) : honte à vous.
Honte à vous tourbe, foule, hommes faux, cœurs morts, partisans de la déchéance de sentimentalité qui frappe notre génération et réduit nos amours au vain présent d’une peluche made in China et à quelques clichés instagram.
Pour aimer, du moins pour être socialement reconnus amoureux, il nous faut consommer, matériellement en achetant des biens ou des services « spécial couple », mais également publiquement en prouvant à d’autres ignares que nous savons aimer, nous rendant dès lors incapables de nous soustraire au diktat d’un amour aveugle et industriel.
Un amour de Saint Valentin dégoulinant le long des panneaux publicitaires en vomissures roses-pailletés et s’étalant sur nos échoppes en larges flaques de phrases toutes faites et d’émotions sous cellophane.
Perdus dans ces avilissements, nous avons cessé de nous interroger sur l’amour individuellement vécu, comme déchirure, dépossession ou parfaite félicitée, tout occupé que nous sommes à en faire la démonstration sociale par la participation à des « fêtes des amoureux », par l’usage des « en couple » sur les réseaux sociaux, par l’abandon face à tout effort que nous couterait la compréhension de notre état.
Considérant cette incapacité, il m’est venu à l’esprit une systématisation simple et ludique, une vulgarisation accessible à tous les cerveaux biens faits mais mal éclairés qui pourraient me lire : le système de la fiducie sentimentale.
Cette théorie, inspirée des thèses hegeliennes, part du postulat que de la relation amoureuse de deux personnes nait une troisième entité qu’est le couple et considère également que chacun possède un patrimoine sentimental global dans lequel sont conservés ses amitiés, ses souvenirs et ses désirs.
Mêlons maintenant ces considérations aux éléments du cours de droit des sûretés dispensé l’excellent professeur Crocq et plus précisément au chapitre relatif à la fiducie, remarquable mécanisme juridique à trois parties ( comme peut parfois l’être une relation) permettant aux titulaires d’un patrimoine ( les constituants) de transférer à une autre personne ( le fiduciaire) la propriété de tout ou partie de ses droits pour réaliser un objet conventionnellement défini au profit d’un bénéficiaire (qui dans le cadre de la relation amoureuse sera confondu avec les amoureux constituants).
L’avantage de ce mécanisme est de rendre indisponibles les biens donnés en fiducie aux créanciers personnels des constituants, formant ainsi un patrimoine d’affectation.
Force est de constater que chaque amoureux, lorsqu’il construit une relation dont va émaner l’entité abstraite du couple, va se déposséder, comme dans la fiducie, d’une partie de son patrimoine sentimental global au profit de l’entité précitée. Dans ces conditions, ce fragment de patrimoine sentimental dans lequel seront compris les sentiments amoureux, le désir charnel et les éventuels souvenirs avec l’être aimé sera rendu parfaitement indisponible aux attaques des créanciers de chaque constituant.
Cette systématisation, si elle peut de prime abord paraitre saugrenue s’illustre par un exemple simple dans lequel nombreux se reconnaitront :
- si d’aventure vous étiez amoureux du plus immonde cloporte que cette terre ait porté, et que vos amis tentaient généreusement de vous en séparer… vous seriez sourds à tous leurs gémissements : en tant que vos amis ils sont créanciers de nombreux sentiments de votre patrimoine global personnel mais ne pourront cependant pas accéder au patrimoine sentimental d’affectation que détient désormais votre couple.
Voila, vous venez de perdre approximativement 10 minutes que vous ne passerez pas à vous demander où emmener votre moitié dimanche soir… Bonne Saint Valentin !
PS : oui j’ai vulgarisé la fiducie… je pense néanmoins mériter une place en M2 Droit privé général !
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