« On ne peut pas se passer de la couleur »



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Agathe Cayuela a connu comme beaucoup la Pravd’Assas par internet. Cette juriste, férue de Wagner, Nietzsche et du café crème (en terrasse, s’il-vous-plait!),  habite dans la belle ville rose de Toulouse, où elle a commencé par étudier aux Beaux-Arts. Nous lui avons donc proposé de contribuer à notre journal par ses talents de philosophe et d’amatrice inconditionnelle d’art et de littérature…


Écrire sur Van Gogh de manière concise et efficace est une tâche complexe ; j’aurais tellement à dire et je sais déjà que je dirai si peu. Mais c’est une tâche qui me tient particulièrement à coeur, car Vincent fait partie de ceux qui m’ont poussée à frapper à la porte des écoles d’art ; et sans qui je n’aurais rien pu accomplir. Ses toiles, – comme ses écrits (parce qu’il a beaucoup écrit, c’était sa vocation première), m’ont insufflés une volonté et une patience qui demeurent encore aujourd’hui des éléments fondateurs dans ma vie.

Et si une chose caractérise Van Gogh, c’est bien la couleur, avec le mouvement.
Fils de pasteur, Vincent commença par suivre la tradition familiale en entrant en apprentissage chez Goupil & Cie. Il développera un dégoût pour le commerce de l’art et se mit alors à lire intensément la Bible. Il deviendra ensuite professeur dans un internat, puis prédicateur.
L’année suivante, il commence des études de théologie à Amsterdam, qu’il abandonne un an après, avant de partir pour le Borinage, en Belgique, comme prédicateur et évangéliste auprès des mineurs de charbon de cette région désolée.
Vincent abandonne néanmoins sa vocation et c’est seulement à l’âge de 27 ans qu’il décide de devenir peintre. Relativement tard donc, pour celui qui deviendra un génie de l’impressionnisme admiré de tous.

« Qu’est ce que dessiner ? Comment y arrive-t-on ? C’est l’action de se frayer un passage à travers un mur de fer invisible, qui semble se trouver entre ce que l’on sent et ce que l’on peut. Comment doit-on traverser ce mur, car il ne sert a rien d’y frapper fort, on doit miner ce mur et le traverser à la lime, lentement et avec patience à mon sens. »

C’est la première des difficultés qui soit effectivement éprouvée, – le gouffre entre ce que l’on sent et ce que l’on peut. L’artiste est confronté à ses propres limites physiques. Et si c’est une chose terriblement décourageante, c’est aussi une qualité formatrice, – Van Gogh l’avait compris mieux que personne. L’art requiert l’obsession.
D’abord, la couleur, et particulièrement le jaune : une clarté aveuglante. L’oeuvre de Van Gogh, – outre tous les éléments propres à l’impressionnisme, – est marquée par la lumière, notamment la lumière dans l’obscurité. Comme un désir d’allumer une lampe dans la nuit, pour qu’elle brûle sans cesse, – une façon de conjurer le sort. Une couleur hallucinée. Ce qui est saisissant, c’est aussi le mouvement ; les toiles vivantes et qui vivent, qui tournent. Van Gogh, c’est le contraire absolu du statisme. Nous sommes alors mis au défi de soutenir le pari du mouvement, de la peinture qui nous accroche et qui nous parle.

Van Gogh n’était pas un peintre maudit ; pas plus maudit ou malheureux qu’un autre. Il suffit de lire sa correspondance avec son frère Théo pour s’en rendre compte. D’abord, un homme porté vers Dieu, dès son premier souffle : « Mais involontairement je suis toujours porté à croire que le meilleur moyen pour connaître Dieu, c’est d’aimer beaucoup. Aimez tel ami, telle personne, telle chose, ce que tu voudras, tu seras dans le bon chemin pour en savoir plus long après, voilà ce que je me dis. Mais il faut aimer d’une haute et d’une sérieuse sympathie intime, avec volonté, avec intelligence, et il faut toujours tâcher d’en savoir plus long, mieux et davantage. Cela mène à Dieu, cela mène à la foi inébranlable. » Et puisqu’aimer Dieu c’est aimer les hommes, il est alors inévitablement lié aux gens, aux autres, « ses autres » qu’il aimait tant. Viennent ensuite les paysages, les ambiances, les climats, – qui sont, là encore, véritables icônes de Dieu sur terre. La phrase de Proust colle parfaitement avec le sens de son travail : « Une heure n’est pas qu’une heure, c’est un vase rempli de parfums, de sons, de projets et de climats. » Van Gogh est l’artiste du beau, de la couleur et de la vie. Point de douleur là-dedans.

Une formidable anecdote raconte que Van Gogh, vers la fin de sa vie, aurait eu pour habitude d’ingurgiter de la peinture jaune dans l’intention d’avaler de la lumière, du bonheur. Étrange habitude, inconcevable aux sains d’esprits. Mais finalement, n’avons-nous pas tous notre peinture jaune ? Nos paquets de cigarettes, nos alcools et nos musiques ne sont-ils pas nos antidotes de bonheur, nos lueurs excessives ?

Je me permets alors de poser deux hypothèses : Van Gogh, désespéré, n’était pas fou, – ou Van Gogh était désespérément fou, et dans le cas échéant, nous le sommes tous.

« Sur le plan social, les institutions se désagrègent et la médecine fait figure de cadavre inutilisable et éventé, qui déclare Van Gogh fou. En face de la lucidité de Van Gogh qui travaille, la psychiatrie n’est plus qu’un réduit de gorilles eux-mêmes obsédés et persécutés et qui n’ont, pour pallier les plus épouvantables états de l’angoisse et de la suffocation humaines, qu’une ridicule terminologie, digne produit de leurs cerveaux tarés. Pas un psychiatre, en effet, qui ne soit un érotomane notoire. »

Artaud défendra Van Gogh jusqu’au bout, en posant la question terrible de la folie : comment une société tarée pourrait-elle prétendre juger elle-même de la folie des hommes ?

Non, Van Gogh n’était pas fou ; il était un « suicidé de la société », comme beaucoup le sont encore, – suicidé d’une société qui se presse et adore les mauvais idoles, d’une société qui oublie l’art, nourriture suprême du ciel de nos âmes, au même titre que le pain.

« Et il avait raison Van Gogh, on peut vivre pour l’infini, ne se satisfaire que d’infini, il y a assez d’infini sur la terre et dans les sphères pour rassasier mille grands génies. »


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