De la question prostitutionnelle


12325091_10207724429662228_1491843296_nUn footballeur et un basketteur, un niçois à la pilosité fournie et un parisien imberbe, Saro et Matteo à part la consonance de leur prénom n’avaient rien de commun. Toutefois ces deux-là, frère d’armes au sein de la double licence droit-économie forment un couple séduisant avide de savoir et désireux de conquérir le monde …

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( à gauche, Saro et à droite, Matteo )


Lundi 25 janvier. Palais de Justice de Paris.

Après une batterie de contrôles, nous pénétrons dans le hall d’entrée. Plan en main, nous avons le choix entre plusieurs juridictions et plusieurs affaires. Toutefois, élevés aux séries policières, notre hésitation fut de courte durée. Nous nous dirigeons directement vers une audience de la Cour d’Assises.

Par conséquence, ce n’est pas une question contractuelle, d’état civil ou de divorce qui nous attend, mais une tentative d’homicide ainsi qu’un viol avec circonstances aggravantes. En l’espèce, l’accusé a recours à une relation tarifée avec la victime. Cette dernière refuse de retirer son haut lors de leurs ébats, ce qui déclenche la colère noire de l’accusé. Aveuglé par ses pulsions sexuelles, il menace la prostituée avec un couteau, et tente même de lui porter un coup mais il échoue. Enfin l’oblige à avoir plusieurs relations forcées qui n’étaient pas comprises dans l’accord tacite initial, conjuguées à des violences physiques graves.

Nous nous étalerons pas davantage sur ces faits. Cette audience a allumé une vive discussion entre nous qui portait sur les conditions d’exercice de la prostitution. Après plusieurs points d’entente ou de discorde, nous débouchons sur une question inévitable : doit-on assister au retour des maisons closes en France ?

 » Existe-t-il-il un système favorable aux prostituées ? « 

Nous pensions faire un micro-trottoir, mais le jeu de mots nous en a vite dissuadé. La problématique est complexe, difficile d’y répondre par un oui ou par un non. Il existe différentes doctrines sur la question : le réglementarisme qui autorise une pratique encadrée de la prostitution, l’abolitionnisme qui vise la disparition de cette activité, et le prohibitionnisme qui envisage une interdiction de cette activité par le biais de mesures strictes et coercitives. Nous nous interrogeons ici seulement sur l’existence d’un éventuel mode de fonctionnement viable pour autoriser la réouverture des maisons closes. Quel était le statut des maison closes avant leur disparition ? Existe-t-il système favorable à tous qui conviendrait également aux impératifs économiques, sociaux et culturels de nos jours ? La réglementation de la prostitution assure-t-elle la sécurité des prostituées ? Cela représente-t-il un enjeu économique ?

Rappelons d’abord qu’après des siècles et des siècles d’existence réglementée, officielle ou officieuse, privée ou publique, les différentes tentatives d’abolition de la prostitution réglementée aboutissent en 1946 avec la loi Marthe Richard. Auparavant, depuis un arrêté de Napoléon publié en 1804, les établissements de plaisir proliféraient dans les rues de la capitale. Ces lieux furent réglementées par l’Etat qui en déléguait le contrôle à la Brigade des moeurs dont les fonctionnaires de police étaient souvent corrompus. L’arrêté instaurait une visite médicale mensuelle obligatoire afin de prévenir les maladies vénériennes. Toutefois cette visite, qui n’avait pas su rester fidèle à son objectif initial ,était perçue comme dégradante par les prostituées. Cette pratique connut son âge d’or sous la IIIème République dont les gouvernements profitent de l’essor de cette prostitution réglementée en prélevant jusqu’à 40% des bénéfices.

Tout d’abord, il est essentiel d’aborder un enjeu sécuritaire, au sens étymologique du terme. Avant tout, la restauration des maisons closes envisagée ici a pour but de garantir la protection des prostituées. La sécurité des prostituées est la première question au coeur de notre discussion, ce qui est inévitable quand on entend parler d’un viol et de violences physiques liées à l’exercice de la prostitution. Dans quelle mesure la réglementation de cette profession pourrait-elle assurer la sécurité de ses travailleurs?

 » La protection des rapports est essentielle tant pour la prostituée que pour le client « 

Premièrement, la réglementation de cette pratique permettrait la prévention de maladies vénériennes et la résolution de certains problèmes sanitaires. Dans la majorité des cas , les prostituées usent de moyens contraceptifs féminins mais ne disposent pas toujours de préservatifs masculins pour pallier à l’imprudence du client qui les aurait oubliés. De plus, il est difficile de traiter ces problèmes lorsque la prostituée exerce ses prestations à l’extérieur, et d’autres problèmes sanitaires font alors surface.

Ainsi, la protection des rapports est essentielle tant pour la prostituée que pour le client. L’exercice de la profession dans le cadre d’un établissement réglementé peut mettre en oeuvre des moyens afin de pallier aux risques précédemment cités. Par exemple, le nettoyage régulier des locaux, la mise à disposition de douches et de sanitaires, la disponibilité permanente de moyens contraceptifs masculins et féminins, ou la mise en place d’un dispositif personnel ou matériel ayant pour but de guider et assister les personnes concernées dans leurs relations.

 » L’État devra prendre en compte l’opinion publique « 

Surtout, la sécurité et l’intégrité physique de la prostituée seraient davantage garanties. En l’espèce, dans le cadre de notre procès, on peut se demander si la prostituée aurait été violée et agressée dans une maison close où des personnes et des dispositifs veilleraient à la sécurité des personnes en relation. Ensuite, la majorité des réseaux de proxénétisme sont affiliés à des organisations mafieuses ou de banditisme étrangères qui exploitent les personnes en situation de faiblesse. Ces femmes exploitées, qui s’exposent à des violences physiques régulières, s’enlisent dans ce système bien huilé et peinent à en sortir.

Néanmoins, le statut d’une maison close et le rôle de l’Etat ainsi que des acteurs privés constituent un frein au retour des maisons closes. La définition d’un cadre légal conditionnant l’intervention de l’Etat dans ces affaires semble être un exercice très périlleux. En effet, il devra prendre en compte l’opinion publique, dans la mesure où la réglementation d’une activité telle que la prostitution pourrait être perçue comme un cautionnement de celui-ci. A l’opposé, déléguer cet exercice à une personne morale de droit privé serait tout simplement une activité de proxénétisme. La question du statut nous amène inévitablement sur une question économique.

Et si ce n’était ni la dette, ni les marchés boursiers, ni la fiscalité, ni le chômage, mais la prostitution qui serait l’enjeu central de l’économie ? La prostitution, plan de relance, levier du secteur tertiaire ? Après cette petite boutade politiquement incorrect, rangeonsnous pour une analyse plus censée. La prostitution implique une relation tarifée donc des flux monétaires qui alimentent une sorte d’économie «  parallèle» ou «  souterraine  ».

Ainsi, la réglementation de la prostitution représenterait une source de revenus officielle qui amène des problématiques fiscales diverses. Si l’Etat ou une personne publique se chargeait de réglementer cette activité, les caisses de la république serait nourries d’une nouvelle entrée d’argent pour le moins controversée. Par exemple, cette méthode est expérimentée par les Pays-Bas. Quant à l’exercice de cette réglementation par une personne morale privée, l’Histoire Prostitutionnelle Française (et non, ce n’est pas la célèbre fondamentale du premier semestre de droit) nous enseigne que les établissements ouverts sous la IIIème République étaient imposés à hauteur de 60% des bénéfices.

 » La gestion de la prostitution soulève des problématiques très complexes « 

En dernier lieu, montrons que nous avons survolé notre cours d’introduction au droit et qu’il en reste quelques vestiges. La prostitution nous engage sur le terrain des droits et libertés fondamentales, garanties par une Convention européenne du même nom dont la France est un état signataire. L’enchevêtrement des sources nationales et supranationales concernant la question doit donc être passée en revue. La CEDH par exemple dans son arrêt Tremblay c/France du 11 septembre 2007 « la prostitution est incompatible avec la dignité de la personne humaine dès lors qu’elle est contrainte ».

On peut en déduire une autorisation de la prostitution tant qu’elle représente une activité économique libre, une position assez flexible qui est diamétralement opposé à la teneur des débats qui animent en ce moment l’Assemblée Nationale.

Une proposition de loi visant la pénalisation des clients est envisagée sur les modèles scandinaves, pour continuer sur les sentiers battus par la loi de 2003 qui condamne le racolage passif. Ainsi les objectifs dictés par les jurisprudences ou dispositions communautaires et nationales sont en dissension, les unes autorisant la pratique non contrainte de la prostitution tandis que les autres la condamnent en toutes circonstances.  La gestion de la prostitution soulève donc des problématiques très complexes et met en avant, aussi bien, des enjeux sociaux qu’économiques. Certaines mesures interventionnistes peuvent être vues et considérées comme un retour en arrière de la société française.

Mais ce dernier utilisé dans un objectif nouveau ne peut-il pas constituer au contraire une source de progrès, d’apaisement et de sécurisation de la profession de prostituée ?


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