Vis ma vie de militant-e de l’UNEF


Un article sans préjugé ni satire…

*le nom a été changé


 

10h00. Le son de France Inter finit enfin par la réveiller.

Au 8ème étage d’un immeuble, Laura* s’assied sur le bord de son lit simple. Devant elle, un poster de Ché Guevara a remplacé François Hollande dont les revirements l’ont dégoutée.

Choquée et déçue.

Laura, encore somnolente, dans un sweat à capuche bleu et avec un pyjama aux motifs de licorne se met en tailleur devant la table basse de sa piaule. Un verre de lait de soja à la main, elle mange ses petits Lu devant des vidéos de débat entre Edwy Plenel et Nadine Morano. Elle boit ensuite sa soupe de concombres bios, faite maison avec son moulinex. Laura aime bien son Moulinex, pas parce que c’est un symbole du Made in France (expression nationaliste selon elle) mais parce que comme le féminisme, Moulinex libère les femmes.

Il est 10h10, Laura se roule une clope. Avec les miettes de son frugal repas et autres morceaux de pellicule et d’ongles rongés qui sont sur la table, elle complète sa cigarette. Il n’y a pas de petites économies solidaires.

Vers 10h35, Laura arrive devant la fosse de Tolbiac. Elle regarde quelques temps cet Eden, distribue des tracts à des étudiants qui les acceptent puis rend son tas à ses camarades. Tolbiac n’est pas sa fac. Car Laura est à Paris II. C’est en songeant à cette erreur d’APB qu’elle se dirige vers la rue d’Assas.

Avec ses baskets trouées, son jean d’homme délavé et son t-shirt banal à peine tâché des Ben & Jerry’s de la veille, Laura a tout d’une banale lycéenne. On la reconnaît néanmoins à son maquillage, inexistant (car sexiste). Tout ce style morne est recherché car il permet de faire ressortir son principale accessoire de mode : la myriade d’autocollants UNEF dont elle s’est parée. Dans son sac, pas de Mac mais un cahier, un stylo, et des crayons de couleurs si elle croise un groupe de petits migrants dans le VIème.

Alors qu’elle descend du bus, Laura a déjà eu le temps de répondre à deux menaces de mort du GUD, de lire un article des sociaux-traites de la Pravd’Assas et de participer à cinq événements Facebook de blocage d’établissement. Elle commente aussi un spot sur les fautes d’orthographe dans ses tracts.

A peine arrivée à la fac, la jeune progressiste descend dans son local à l’odeur de cannabis froid. Stupeur : des partisans de Donald Trump en ont encore parsemé la porte d’autocollants.

Soupirant, elle se pose enfin sur une chaise grinçante, débarrasse la table en bois des gobelets de café et ouvre Libé.

 

Une heure plus tard, enfin sûre que personne ne viendra, comme toujours, la voir au local pour porter plainte contre la scolarité, Laura prend ses tracts à deux mains. En ouvrant l’armoire, elle s’arrête un instant sur les photos de Justin Bieber trônant fièrement à côté de Julien Doré et Julien Bayou. Ah, ces stars de l’engagement étudiant… Ses pensées divaguent sur son seul amour… enfin la seule fois où elle avait envisagé que le fait qu’un homme lui tienne la main ne soit pas une marque de sexisme. C’était un vice-président des étudiants écolos de Grenoble, 33 ans à peine. Ils avaient marché ensemble en marge de la gay pride, elle lui avait donné son numéro… Elle attend son appel…

Laura a un rôle difficile en ce jour de tractage. Elle doit convaincre les fils de bourgeois payant l’ISF de voter contre les classes privilégiées. Pour cela, Laura a une technique incroyable : elle joue sur les divisions qui fracturent les CSP+. Team 7ème contre Team 16ème, aristocrates contre nobles, équipe 1 contre équipe 3, mocassins contre bateaux, ballerines contre talons ou encore Guynemer contre Vavin.

Lors des tractages, la femme déterminée qu’elle est n’hésite pas à rassembler le plus de travailleurs derrière son étendard, d’unir les masses autour de grands combats. Et pour cela, les luttes sont multiples, autant que devraient l’être les Secrétariats contre telle ou telle discrimination. Par exemple, Laura est contre le travail de nuit pour éviter la précarisation des travailleurs. Pour mieux former les étudiants, elle veut ouvrir la bibliothèque jusqu’à minuit. Tout ce programme de défense des droits est inscrit sur les feuilles froissées qu’elle tend d’un geste mou.

Parfois, la militante solidaire et surtout solitaire va demander du feu ou des feuilles pour rouler à un groupe de futurs travailleurs dans la finance. S’ils montrent ne serait-ce qu’un signe d’ouverture dans leurs rangs, elle leur demande leur avis sur BestAssas. Avant qu’ils aient répondu Laura débine le discours qu’elle s’est récité toute la nuit d’une voie précipitée, elle se sent pousser des ailes, s’imagine mener une manifestation, brandir son drapeau sur une barricade, donner des roses aux CRS, terrasser la bête immonde… ! Le groupe goguenard de petits cons lui demande sa place dans le classement du site.

Comme depuis le premier jour de sa vie, Laura est déprimée, les remercie froidement pour leur briquet et repart tendre ses tracts dans le vide.

Laura a désormais faim. Il est 15h et elle n’a rien mangé. Elle aime cette sensation qui la fait sentir proche des misérables que Mandela et Ghandi décrivent dans leurs livres. Elle dédaigne les sandwichs du CROUS pour partir chercher des gens qui la comprenne, ou du moins qu’elle comprend. Arrivée à Nanterre, elle rejoint ses camarades qui tiennent un piquet de grève devant la Poste. Plus tard, Laura rêve d’être comme eux : syndicaliste à plein temps. Elle se nourrit de merguez froide qu’elle trempe dans de la chicoré froide.

Dans cette ambiance de convivialité, sur un air de Renaud, Laura se lâche alors. Elle se dit mal à l’aise face aux autres sections de l’UNEF qui elles ont pu bloquer René Cassin ou le Panthéon. Elle est née à la mauvaise époque et milite au mauvais endroit. Et puis surtout, elle s’en veut d’être blanche.

C’est de la faute de ses parents, sans parler qu’elle déteste son père car il l’a habitué à l’appeler Papa, signe évident d’un patriarcat primaire. Un grand silence s’en suit, chacun méditant les paroles de la jeunesse précarisée. Gégé de la CGT fait une bonne blague de Bigard, Ginette rigole et Laura sourit de leur soumission au système. Il est 20h, Laura traine dans Paris, fatiguée, clope roulée au bec et autocollant de l’UNEF à la poitrine. Elle va voir un film d’auteur, un porno japonais, pour s’ouvrir au multiculturalisme. Puis Laura rentre chez elle et s’endort.

Demain, elle tracte.


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