Cher Yvan,
J’ai appris hier en passant les grilles d’Assas que je te prêtais ma fac pour ton tournage. Bien que ce soit toujours un plaisir d’apporter ma contribution à l’industrie du cinéma, j’aurai apprécié que tu me préviennes. En effet si ma candidature n’a pas été retenue, en cause : je ne suis « pas assez normale » je t’avoue que même un petit mail pour me prévenir de la fermeture du Patio, de l’arrivée de ton équipe à Stan Smith ou encore de tes figurants aux dents blanches, m’aurait satisfaite.
Arrivée sous le parvis, un de tes 15 bobos à l’allure kaki m’a élégamment indiqué la place qui m’était réservée soit « derrière les colonnes ». Tu ne m’en veux pas j’ai traduis cette délicate attention par un « les moches hors du champ ».
Que tu ai préféré Camélia Jordana pour son bagage vocalique et nominal, passons sur cette erreur de jugement, mais tu te trompes, moi aussi je peux mettre des Stan Smith, une veste en jean et faire un chignon coiffé décoiffé coiffé.
J’ai donc eu l’occasion, de la place VIP que j’occupais (rappelle toi, derrière les colonnes) d’observer ce qui sera ma toile d’un samedi soir arrosé de bière au quinoa et de boulgour.
Au début j’étais perplexe je t’avoue, quant à distinguer tes figurants des étudiants, c’était un peu comme trouver les mots clés d’un arrêt de cassation.
Mais il y a de ces signes qui ne trompent pas Yvan. Entre la nana au sac à dos bordé de Pin’s (même à la Sorbonne on ne voit pas ça), le pseudo métalleux à mèche rebelle ou la blondinette sortie de la Reine des Neiges j’ai vite saisi.
Non Yvan, ne hurle pas au cliché, surtout que je suis certaine d’apprécier ton film « criant de vérité ». Mais dorénavant tu sauras qu’un étudiant, d’Assas ou non, ça ne sourit pas à chaque bouffée de fumée dégagée par sa clope, ça s’étouffe, ça ne glousse pas son sac de 15 tonnes sous le bras pendant 20 minutes, ça le pose, et enfin, ça ne forme pas de petits groupes distincts en nombre impair aux quatre coins du parvis, ça caille donc ça rentre.
J’ai d’ailleurs découvert que nos professeurs portaient des costumes en velours côtelés, j’ai donc été ravie d’apprendre notre partenariat avec la Sorbonne.
Rassure toi mon constat fut bref puisque la fin de ma pause clope habituellement marquée par la consumation de la dite clope fut cette fois et ce jusqu’à la fin de ma journée impulsée par un délicat « Silence plateau, ça tourne » de ta charmante collègue.
Ne t’en fais pas, même si j’ai l’air agacée j’ai beaucoup plus ri à l’intérieur. J’ai pu y découvrir tes cadreurs, perchistes et autres. Ho ils étaient reconnaissables je t’avoue, le pantalon militaire rempli de trucs inutiles faussement indispensables, j’ai encore vu ça que chez vous.
Puis j’ai eu l’honneur d’apercevoir Camélia, courant, cheveux au vent dans le couloir pour trouver sa salle de cours ou l’amour de sa vie (j’ai pas encore bien cerné le thème du film). Je dis cheveux au vent parce que j’ai eu l’impression qu’elle avait froid, entre son mug rempli de thé, et sa doudoune qu’elle remettait entre chaque prise ça m’a brisé le cœur.
Mais nous si tu te posais la question, ce dont je ne doute pas, ça allait. Bon le Patio était fermé, le parvis impraticable, et le couloir quelque peu bouchonnant, mais par la même occasion, Arte a pu tourner un documentaire en immersion dans le quotidien d’un étudiant lambda (la Sorbonne était privatisée pour cause de cours ce jour là).
J’exagère je ne doute pas du réalisme de ton « art scénarisé ». J’ai d’ailleurs aperçu ton appel à candidature pour jouer un mec du GUD. J’aurai bien postulé à défaut du rôle de princesse des nuages que Camélia m’a volé, mais Godard m’a interdit de couper mes cheveux pour son prochain film.
Je t’embrasse et on se voit aux Césars.
A.LH
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