Le rapport de la société au viol change en fonction de la culture, de l’époque, du pays. Il en est de même chez les chorégraphes. Chacun, avec ses origines, ses influences, sa volonté d’expression en parle d’une façon différente. Deux chorégraphes, contemporains, ont surtout marqué mon esprit à ce sujet.
Pina Bausch, dans Auf dem Gebirge hat ein Man ein Geschrei gehört, nous en parle à son habitude, en étant dure. Après toute une scène où les danseurs créent une impression de confusion, augmentée par la terre sur le sol et la fumée, on entend un hurlement atroce. Sans que personne ne s’en soit rendu compte, un danseur tient debout, par les cheveux, une danseuse. Immédiatement après ce cri, plus aucun danseur dans leur zone. Ils disparaissent tous un à un, ils fuient. Peu de temps après, la dernière danseuse se fait elle aussi attraper par un danseur qui était resté, tandis que l’autre hurle toujours sans bouger en fond de scène. Elles sont deux, maintenues et hurlantes, et pendant une longue minute, juste avant l’entracte, nous ne verrons aucun autre danseur. Image à peine subtile de la lâcheté de notre société, de la lâcheté de chaque personne à ignorer ce qui pourtant se passe sous ses yeux.
Angelin Preljocaj, lui, dans Retour à Berratham, nous agresse presque avec la cruauté de la scène. Berratham, c’est une ville de l’Est, post régime soviétique, qui est exsangue. Chacun vit pour soi et la mort fait partie de leur vie. Lorsqu’il peint le viol, il utilise une musique métallique, et trois danseurs plaquent trois danseuses contre des barrières en métal, debouts, et se mettent à mimer l’acte du viol, sous les yeux du public, au paroxysme de son malaise. Les danseuses sont bloquées et ne peuvent presque pas bouger. Lui a décidé de nous montrer la violence, la torture qu’endurent les femmes et le fait qu’elles ne peuvent rien faire. Ensuite, ces danseuses montreront les séquelles subies, l’une d’elle va même en mourir. Mais ce chorégraphe ne fait pas que montrer le viol en pleine en rue. Il parle aussi du viol dans le mariage. La danseuse principale, mariée de force, se retrouve déshabillée par le reste des danseurs après la scène de son mariage. Puis elle danse nue, elle exprime le viol de son mari. Elle se contorsionne, elle a un visage qui souffre, elle pleure mais ne dit rien.
Contrairement aux danseuses de Pina Bausch, celles d’Angelin ne disent pas un mot pendant ces scènes, elles ne sont pas mises en avant. Chez Pina, ce sont les danseurs qui sont cachés, on ne peut pas les voir, ils sont derrière les femmes ; alors que chez Preljocaj on ne peut voir que les hommes. Nous, spectateur, on peut retirer plusieurs choses de cet acte militant de la part de ces chorégraphes : que notre société ne voit rien, qu’elle se voile la face, alors qu’elle est en mesure d’œuvrer pour faire cesser les viols, dans la rue comme dans le mariage. On peut également, d’un point de vue artistique, admirer la performance des danseurs. Il leur est demandé un exceptionnel travail, réalisé avec beaucoup de justesse et de technique.
La volonté de ces deux chorégraphes est commune mais leur approche est différente. Ils ont le même message de courage demandé au public, de se placer contre ces actes en les forçant à regarder et à y réagir. A nous d’y répondre avec force et courage.
Juliette Berthou-jugan
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