Combien de fois avez-vous eu mal ? Je veux dire mal au point de ne plus rien ressentir nulle part ailleurs, de ne plus rien comprendre ce qui se passe autour de vous. Avez-vous déjà vomi de douleur après avoir passé des heures, des jours à répéter le même enchainement de pas avant une représentation ou une compétition ?
Les jours précédents ces évènements, même s’ils sont réguliers, nos professeurs sont au summum de leur stress. Tout doit être impérativement prêt : les voitures qui vont nous emmener dès l’aube, les costumes, même les bombes de laque doivent être sur le qui-vive. Et nous, danseurs, nous ne faisons plus qu’un avec le parquet de la salle de danse. Chaque micro seconde doit être calée les uns par rapport aux autres. Des jours durant, tout ce que vous avez en tête, ce sont les unissons, les accélérations, les suspensions, les déséquilibres, les pieds pointés et les regards à placer, le moment où votre partenaire va vous saisir, celui où vous dansez avec une danseuse à l’autre bout de la scène. Et chaque soir, ou plutôt chaque nuit, lorsque vous rentrez en taxi, faute de métro, vous sentez que pieds saignent, que vos muscles sont tendus, que votre tête va exploser à force d’entendre ce même morceau de musique. Vous n’avez qu’une envie : aller dans votre lit moelleux, même si la douleur va vous empêcher de dormir. Alors vous repenserez à la journée, en vous disant que demain ce sera certainement encore plus éprouvant. Jusqu’à ce qu’arrive le jour J. Tout est prêt et vous aussi. Vous ressentez toute la pression, chacun la ressent. Personne ne se parle vraiment, on se concentre, on veut gagner. On rentre sur scène, déjà un peu en dansant, histoire d’impressionner les juges.
Et il y a ce moment où votre corps sait mieux que vous ce que vous devez faire. Alors vous vous laissez guider. Et là on se sent partir dans les airs, tourner, porter. Ce moment magique où tout ce temps passé à souffrir paye. A cet instant précis, il n’y a plus que nous, nous sommes les seuls à pouvoir danser et exprimer toute la souffrance de notre art. On sait que l’on a gagné dès que la musique s’arrête. On retourne en loge, on boit, on respire, on attend. Tout le monde est passé, les membres du jury délibèrent. Tous sont appelés sur scène. Le décompte du classement commence. Votre équipe n’est toujours pas nommée. Il reste la première place à décerner. Alors on pleure, on se dit que cette douleur atroce, que ce sang et cette sueur versés sont bénis, que cette souffrance est récompensée. On remercie le Ciel, on rentre chez soi et on se soigne. L’euphorie, elle arrive après. Mais on n’arrêtera jamais.
Juliette Berthou-jugan
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