L’hydre sécuritaire ne vous sauvera pas

Vigipirate transformé, militaires déployés, recrutements amorcés, renseignement renforcé, réserve mobilisée… Jour après jour, les pouvoirs publics font des pieds et des mains pour que l’on reconnaisse qu’ils sont actifs dans la garantie de notre sécurité. Est-ce réellement le cas ? Sont-ils efficaces ?

Que trouve-t-on sous la croute cosmétique assez maladroitement étalée par nos dirigeants successifs depuis 2015 ?


Une vérité : la menace terroriste

Il convient d’abord et avant tout de rappeler la véracité de la menace terroriste sur le sol français. Elle est réelle, il suffit pour le constater d’observer la carte des attentats commis depuis janvier 2015 :

Carte des attentats depuis janver 2015 — AFP pour LePoint.fr

Bien que parfois médiatiquement amplifiés, les risques existent et le peuple français apprend à vivre avec, attendant sagement les solutions de l’État.

Démunis, les citoyens regardent le détenteur du monopole de la violence légitime porter les armes devant les lieux publics, les yeux cernés d’espoir en croyant qu’enfin le Gouvernement et ses représentants vont les sauver du péril islamo-terroristo-méchant. On en est loin !


Une méthode : la cosmétique

La réponse apportée aux premiers lourds attentats fut celle de la cosmétique. Peinturlurer nos rues de camouflage et de bleu nuit a donc semblé être une bonne idée. Elle s’accompagne évidemment de ce qu’elle maquille et cache : des dispositifs d’urgence et de lourds changements juridiques.

Face visible : du treillis

De l’uniforme, des armes, des patrouilles, des dispositifs aux noms qui en jettent… La France réagit !

L’Opération Sentinelle, joyeux nom de code du déploiement des forces militaires sur le territoire national mobilise jusqu’à 10 000 militaires dont près de 6 500 hommes et femmes en Île-de-France.

Elle permet donc aux citoyens d’observer des spécimens rares de légionnaires d’élite près de chez eux, comme ici à Marseille où le 1er Régiment étranger de cavalerie, militaires de la Légion Étrangère spécialisés dans le combat anti-blindés surveillent la voie publique. Une aubaine pour ces soldats sur-entrainés, passés du Kosovo au Mali puis du Mali à… Marseille !

Le 1er REC à Marseille — Légion Étrangère

Face cachée : des lois

Au cœur du dispositif de lutte contre le terrorisme, l’arsenal législatif déployé ferait rêver du tyran de seconde zone. Ce panorama indigeste et technique sera agrémenté d’images martiales de nos forces armées pour stimuler vos fantasmes belliqueux.

Certains dispositifs sont très anciens, d’autres sont modifiés ou créés. Tous répondent aux exigences de gestion de crise, lutte contre le terrorisme et protection des citoyens. Ils sont sans cesse cités, il s’agit ici d’en comprendre l’intérêt.

Il convient dans un premier temps de distinguer les mesures dites exceptionnelles de celles qui sont créées pour durer bien qu’en pratique elles se confondent et que l’on prolonge indéfiniment des mesures censées être temporaires

Légionnaires déployés au pied de la tour Effeil — ifrap.org

Le dispositif phare de la lutte contre le terrorisme :

  • Plan Vigipirate

Le plan Vigipirate apparaît comme le principal outil de lutte contre le terrorisme sur le sol français. Il s’agit d’un dispositif de prévention et de protection conçu pour durer tout en étant modulable.

Réformé le 20 janvier 2014, il se divise en deux niveaux : vigilance et alerte attentat.

La posture vigilance est un niveau de sécurité permanent qui correspond au filtrage de certains lieux, de contrôle et de surveillance dans les transports et bâtiments officiels, etc.

La posture alerte attentat, en revanche, est plus lourde et contraignante et met en place des mesures temporaires et exceptionnelles. Elle active les cellules de crise, renforce les contrôles, restreint certains transports et mobilise les unités spécialisées.

Elle a été déclarée puis prolongée après les attentats de Charlie Hebdo du 7 janvier 2015 avant de faire un relatif retour à la normale durant l’été. Les événements du 13 novembre 2015 ont relancé l’alerte attentat.

Compagnie républicaine de sécurité — Déploiement Vigipirate — Metronews

On peut ensuite citer les mesures d’urgence :

  • Dispositif Orsec et Plan Orsan

Apparemment efficaces, peu contestés, ces dispositifs de gestion des crises sont à survoler rapidement. Peu ou pas modifiés depuis les différents attentats, ils répondent aux exigences de réponse aux événements exceptionnels.

Le plan Orsec (pour organisation de la réponse de sécurité civile) permet de placer l’ensemble des secours sous une direction unique, d’optimiser les liens entre les services et de fluidifier les ordres et informations.

Le plan Orsan (pour organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles) met en commun les Plans blancs des établissements de santé et permet donc une réaction optimale des hopitaux en cas de crise.

  • État d’urgence

Créé pour répondre à la crise algérienne en 1955, l’état d’urgence est la fine fleur des dispositifs d’urgence conférant à l’État et aux forces de l’ordre des prérogatives et autres passe-droits essentiels à la résolution de situations crisogènes.

L’armada rendu disponible par cet état d’urgence est considérable : couvre-feu, interdiction de séjour, dissolution d’associations, perquisitions nocturnes, saisie d’armes, blocage de contenus en ligne et autres réjouissances.

Le principal enjeu de l’état d’urgence est celui du lien direct entre l’exécutif et les forces de l’ordre. Il permet de passer outre aux juges judiciaires et rend possible la perquisition sans le contrôle d’un magistrat, on parle de perquisition administrative. Ce type de perquisition a été suspendu en mai 2016, six mois après le déclenchement.

Après les attentats du 14 juillet 2016 à Nice et lors de la prorogation de l’état d’urgence, de nouvelles mesures ont été adoptées. Elles concernent par exemple l’interdiction de certains événements non sécurisés, la fermeture des lieux de culte et la collecte et l’exploitation de données informatiques.

Forces spéciales de l’air et Commandos marine — Entrainement Tigre à Solenzara

Enfin, les principales lois qui dureront, quelques autres comme le port d’arme de service des policiers sont volontairement passées :

  • Loi renseignement

Promulguée le 24 juillet 2015, la loi relative au renseignement est probablement le plus sensible des textes adoptés. Elle permet en effet la surveillance des opérateurs de télécommunication par le biais de “boîtes noires” afin de détecter des comportements suspects, elle autorise l’utilisation de dispositifs d’écoute, de logiciels de surveillance et d’IMSI-catchers pour capturer des données téléphoniques.

  • Lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement

Promulguée le 4 juin 2016, cette loi nommée “loi antiterroriste la plus sévère d’Europe” par le journal Le Monde assouplit l’usage des armes des policiers, renforce les outils de surveillance et de contrôle — en particulier financier (ex. : cartes prépayées) et facilite les fouilles et perquisitions nocturnes.

  • Loi anti-terroriste en cours d’adoption :

Adoptée en première lecture au Sénat dans la nuit du 18 au 19 juillet 2017, cette loi vise à remplacer l’état d’urgence — transformer l’état d’exception en état normal restant le moyen le plus efficace de faire cesser les critiques. Elle inclut dont les perquisitions administratives, les assignations à résidence, les outils de fermeture temporaire de lieux de cultes, le PNR pour les passagers aériens, le périmètre de protection de lieux ou d’événements sensibles, la captation de données, le contrôle aux frontières, etc.

Commando parachutiste — Opération Chammal — defense.gouv

Un résultat : l’échec

Il serait véritablement de mauvaise foi de dire que rien n’est fait et que rien ne va. Au-delà de la cosmétique risible et du marketing sécuritaire que l’on veut bien nous vendre, la France ne connaît pas une situation de chaos absolu.

Des attentats sont régulièrement déjoués, on en fait par ailleurs souvent bonne presse. Du reste, quant aux attaques qui continuent d’avoir lieu, elles visent principalement des forces de l’ordre : tentative de vol d’arme d’un militaire, attaque au marteau, meurtre sur les champs élysées. Jusqu’ici, le tout tient le choc.

Cependant, c’est un échec. Les citoyens vivent une guerre dont on tait le nom et la nature, ils ne la comprennent donc pas. L’on utilise les forces armées pour rassurer et dissuader, attendant passivement que l’usure les gagne sans retour possible. La barque n’est pas véritablement menée, il n’y a ni cap ni stratégie, simplement de l’ajustement au gré du vent. Alors finalement, peut-être que l’on se trompe de méthode.

“Rien que des soldats citoyens ! Qui votent ! Qui lisent ! Et qui se battent !”

Ceux qui s’attachent encore à lire les sondages savent que l’opinion publique, elle, ne sait plus. On peut lire que 6 français sur 10 ne se sentent en sécurité nulle part et que 8 français sur 10 pensent que de toute façon on ne peut pas empêcher tous les attentats. Il faudrait quand même largement maintenir l’Opération Sentinelle (pour 78% d’entre eux) mais pas l’état d’urgence, qui lui ne semble utile qu’à 1 français sur 3. Pourtant l’état d’urgence est en passe d’être partiellement normalisé.

Ce flou n’est ni anodin ni inexpliquable, quand nos dirigeants ne connaissent pas la nature du combat qu’ils mènent et ne définissent pas clairement leurs objectifs, comment peut-on demander aux citoyens qui attendent des réponses de le comprendre ? Sur ce point et sur la définition du conflit en général, lire cet incroyable billet d’Abou Djaffar.

“Seulement, petit à petit, la politique nous a mis le grappin dessus, et, du Service de l’État, on est passé au service du Pouvoir”

L’opinion publique semble alors continuer de réclamer la présence militaire permanente dans les rues. Quand bien même Sentinelle n’a pas véritablement prouvé son efficacité par rapport au coût humain qu’elle nécessite, l’opération est maintenue.

Les experts en défense et sécurité semblent pourtant unanimes quant à son danger et son utilité relative. Définie comme un “piège” par Michel Goya, en ce qu’elle est terriblement addictive et qu’il sera difficile d’en sortir, elle pose un problème certain. Confrontés à un quotidien vide de menace terroriste directe, les militaires sont transformés en policiers de proximité et leurs exploits sont mis à l’honneur. Bénédicte Chéron soulignait par exemple l’incroyable exploit de l’arrestation d’un clown pickpocket, encore une réussite de l’Opération Sentinelle.

Dès septembre 2015, les policiers de Vigipirate étaient décrits comme “à bout de souffle”, donc en bons stratèges, nos dirigeants ont décidé d’user également les militaires de la force Sentinelle, comme en témoigne l’excellent rapport d’Elie Tenenbaum pour l’IFRI de juin 2016.

Alors Sentinelle rassure, elle apaise, elle est l’illusion de sécurité et la certitude de l’échec. Du service de l’état, les militaires sont passés bien malgré eux au service du pouvoir, instruments de politiciens qui font d’eux leur preuve d’action contre le terrorisme. Chouette recette, jamais sans conséquence.

“La politique, j’en connais qu’une : un soldat pour trente péquenots et le premier bouseux qui se plaint des taxes, on lui coupe un pied !”

Les lois antiterroristes — quand leurs conséquences sont mal étudiées — sont une forme de mexican standoff. L’on se retrouve dans une situation où personne ne peut plus rien faire sans prendre le risque de se faire descendre. Ce n’est pas que les politiques ne comprennent pas l’impasse dans laquelle ils sont, l’on en trouve qui soulignent l’inefficacité de l’état d’urgence ça et .

Le problème est simple : même si les outils ne sont pas efficaces, celui qui les retire ou les amenuise devra porter la charge de la responsabilité en cas d’attentat. Donc on ne change rien.

Au surplus, l’effort demandé pour tendre vers une stratégie globale, claire, avec des objectifs formulés (milestones et KPI pour nos amis du marketing) est plus grand que l’effort demandé pour adopter un nouveau jeu de mesure-tte-s à chaque attentat. Donc on ne réfléchit pas.

Par ailleurs, même pour les outils créés, la réussite n’est pas au planning. Après avoir difficilement accepté la loi renseignement, les Français se sont faits avoir sur la marchandise. Plus de sept mois après la promulgation de celle-ci, les boîtes noires n’étaient toujours pas activées. L’urgence disaient-ils.

“Rassurez-vous madame Bourdelle, c’est francais, c’est la police francaise !”

Alors si les citoyens ne savent plus trop où donner de la tête, les politiques n’essaient pas de se servir de la leur et les militaires la perdent, à quoi bon ? Eh bien à vous rassurer Madame Bourdelle, vos représentants agissent pour vous ! La Légion Étrangère vous accompagne acheter du pain, les commandos patrouillent devant l’école des gosses et votre Président se fait hélitreuiller dans un sous-marin, on va la gagner cette putain de guerre !

Le Président Emmanuel Macron en tenue de pilote à Istres

C’est quand même dommage, tout était passé. On avait réussi à nous faire accepter le tout-sécuritaire et même à l’ériger en solution viable. On nous a vendu plusieurs lois renforçant considérablement des pratiques de renseignement qui auraient largement pu être décriées en temps de paix. Il a fallu que l’on oublie de trouver une stratégie de long terme. Merde.

Le problème du sécuritaire-anxiolytique, c’est qu’il ne fonctionne que tant qu’il coûte. L’accoutumance est traître, la moindre perturbation contraint d’augmenter les doses. Très vite on se retrouve avec du kaki partout, des miloufs qui gueulent — ils osent, les cons ! — de désastreux coûts humains et financiers et on regrette vite son premier shoot.

Le marketing sécuritaire, drôle de jeu où pour gagner il ne faut pas jouer.

Wargames — Badham (1983)

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