Les Kurdes ont lutté contre Daesh, ils ont libéré la Syrie, ne mériteraient-ils pas leur État ? Alors que l’État Islamique faiblit (Raqqa résiste péniblement), la zone irako-syrienne n’est pas prêt de goûter la paix et le calme tant promis. Les Kurdes vont-ils devenir les mercenaires des puissances voisines, manipulés par leur envie viscérale de sécession ?
Les Kurdes ont l’indépendance contagieuse, ce peuple multi-confessionnel dispersé dans 24 États (majoritairement en Turquie, en Iran, en Irak et en Syrie) rêve toujours et plus encore aujourd’hui à son État indépendant coincé entre des pays si faibles aux terres si riches.
Les deux pieds sur des sous-sols d’or noir, le Kurdistan autonome d’Afrin (frontière syrano-turque) à Kirkouk (frontière irako-iranienne) se fera-t-il ?
Depuis 2 ans, la région connait des péripéties bellicistes : la guerre civile syrienne a permis aux Kurdes de l’Ouest (les « Rojava », de Syrie) et du Sud (d’Irak) de s’affranchir un peu plus des États-survivants et de s’imposer sur la scène internationale – encore que cela reste provisoire. Cependant, de l’autre côté, étrangement, leurs congénères Iraniens (les Kurdes représentent 10% de la population iranienne) semblent déconnectés et absents du conflit centenaire.
LES SITUATIONS KURDES :
Il n’existe pas une situation kurde mais des situations avec des solutions (du moins des pistes). La pluralité des conjonctures amène généralement les médias à simplifier les questions géopolitiques donnant un aperçu mutilé de la réalité. L’idée d’un Kurdistan uni et indépendant n’enlève rien à la fragmentation du peuple Kurde.
L’Iran & le Kurdistan irakien
Les Kurdes du Sud sont confiants et demeurent dans un État irakien qui n’existe qu’occasionnellement pour les conférences de l’ONU. La Constitution de 2005 leur conférait un territoire qu’ils ont agrandi par la lutte contre Daesh (et ses alliés). Il y a 3 ans, son armée était insuffisante et n’aurait jamais eu de telles prétentions territoriales mais, après une lutte diplomatique, les Kurdes ont polarisé les apports d’armes, les formations et les soutiens occidentaux. Les Kurdes sont désormais souverains de fait sur une région qu’ils n’auraient osé disputer à Bagdad.
Les Kurdes d’Irak agissent au nom du Gouvernement Régional du Kurdistan (KRG – dominé par le PDK) (1) qui entretient d’étroites relations avec Ankara pour des raisons économiques (la Turquie est le premier client de leur hydrocarbure, le KRG apparait comme la branche modérée et acceptable des kurdes pour la Turquie). D’un autre côté, l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK), le parti Kurde dominant à Souleimaniye (Irak, tout près de la frontière Iranienne, à 700km de Téhéran), tenu par Jalal Talabani, cherche l’oreille de l’Iran et a construit des liens bilatéraux importants – proximité et sécurité oblige.
Téhéran surveille ce Kurdistan en Irak, négociant les retours à l’ordre avec le KRG et l’UPK des kurdes iraniens turbulents (notament le PJAK : parti politique Kurde et armé luttant contre le pouvoir des Mollahs en Iran, situé à l’Ouest de Téhéran, dans les régions du Zagros et d’Alborz. À ne pas confondre avec les Kurdes à la frontière irano-turkmène et du Sud-Est de l’Iran, sous influence salafiste).
Les Kurdes iraniens : une affaire de famille
Sur les flancs du Mont Qandil, le PKK a créé en 2004 son homologue iranien le PJAK (2), désormais moins actif car dépendant matériellement du PKK. Le PKK est le Parti des travailleurs Kurdes ; agissant principalement en Turquie – avec des méthodes plus ou moins terroristes -, le PKK est la force de frappe des Kurdes la plus importante et assure le soutien logistique des autres partis ou groupes armés kurdes.
Ce même PKK est allé se battre avec le PYD (3) (PKK Syrien cette fois-ci) contre Daesh en Syrie et dans la région du Sinjar en Irak où les Yazidis abandonnés les ont accueilli en héros. Désormais l’YPG (la branche armée du PYD) tient la région et compte y jouer un rôle important. Diplomatie oblige : les Turcs considérant que le PKK et l’YPG sont deux groupes terroristes exercent continuellement des pressions sur le Gouvernement Régional du Kurdistan (en Irak) afin d’obtenir l’expulsion de ceux qui hier en étaient des libérateurs. C’est alors que le soutien de l’Iran est le bienvenu. Contre une complaisance des milices chiites et du Hezbollah libanais à leur égard, les Kurdes ont imposé à leurs comparses Iraniens du PJAK de ne plus titiller Téhéran occupé à autre chose (c’est alors que Tel-Aviv voit d’un mauvais œil cette fâcheuse alliance réunissant ses ennemis).
Mais l’histoire ne s’arrête pas ainsi. Ceux qui s’opposaient hier, s’unissent le lendemain. C’est le cas de la Turquie et de l’Iran, deux États puissants dans la région, qui peuvent faire disparaitre les Kurdes du Moyen-Orient, s’assoient désormais à la même table. La dangereuse alliance s’est faite sur une base commune de « lutte contre le terrorisme ». Là où Ankara y inclut volontiers les kurdes (PKK et PYD), et où Téhéran s’y refuse de peur de faire face à une insurrection Kurde le lendemain.
Les États-Unis, quant à eux, ont une fâcheuse tendance à se méfier avec une obsession dérangeante de l’Iran, prochain « Axe du Mal », Irak de demain. Israël s’en réjouit et si elle ne dirige pas la politique américaine au Moyen-Orient, elle la suit (4).
Il est aussi important de se rappeler que les Kurdes ne sont pas tous de farouches opposants à Daesh et qu’il existe aussi une diaspora guerrière Kurde au service de l’État Islamique (les Kurdes sont en majorité sunnites).
L’Alliance Qatar – Turquie – Iran : nouveau destin
Le Moyen-Orient est en plein mouvement. Les influences d’Israël, de Riyad et les nouvelles directives brutales de l’administration Trump provoquent des réactions et des alliances menaçant à long terme la stabilité de la région. Riyad n’hésitera pas à faire rêver les Kurdes afin de fragiliser l’Iran (le PJAK attend tranquillement des soutiens). Les Kurdes (le PYD syrien notamment) commencent à se tourner vers l’Arabie Saoudite craignant de voir le soutien américain s’éloigner après la chute de Raqqa (les USA ayant un faible pour les erreurs au MO).
On ne résout pas les multiples conflits dans ce « Moyen-Orient compliqué » avec une diplomatie de communicants. Il y a des facteurs ethniques, religieux, politiques, institutionnels et économiques (les gazoducs ne sont jamais très loin dans tout ça) qui rendent le conflit particulièrement mouvant. Il convient de prévoir les futurs revirements stratégiques des acteurs du conflit. La chute de l’État Islamique est la première des priorités à Paris mais ne l’est ni à Ankara, ni à Bagdad, ni à Téhéran, ni dans aucun des pays du Proche et Moyen-Orient.
SR
(1) Le Gouvernement Régional du Kurdistan (KRG) est tenu par le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Massoud Barzani. M. Barzani est à la fois sous pression turque (il doit entretenir son premier client) et son territoire est « occupé » (ou défendu) par le PKK et l’YPG – factions kurdes considérées comme terroristes par Erdogan.
(2) Le PJAK est le Parti pour une vie libre au Kurdistan (Partiya Jiyana Azad a Kurdistanê), sous la tutelle du PKK, ayant des intérêts parfois divergents.
(3) Le PYD est le Parti d’Union démocratique Kurde, il est appuyé par les Unités de protection du peuple (YPG) combattant aux cotés du PKK en Syrie et en Irak.
(4) L’État hébreux n’est pas le plus propre dans cette histoire. Israël garde une éternelle rancune contre à peu près tous ses voisins (excepté la menace syrienne), le « croissant chiite » est considéré comme une menace. Il est évident que les positions de Téhéran, du Hezbollah, de Damas et de Beyrouth vont changer et que, s’ils luttent contre les mouvances salafistes-djhiadistes aujourd’hui, ils préparent irrémédiablement l’après – l’’après étant peut être un soutien d’Al Qaida et de Daesh à la cause palestinienne. L’accord 5+1 plus ou moins respecté ne facilite pas les choses.
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