Au début, j’avais une relation normale avec Michel, la relation que le commun des mortels entretient avec lui. C’est-à-dire que je l’écoutais tard dans la nuit, souvent dans un état avancé d’ébriété, souvent à partir de son répertoire classique et « démocratisé ». Je me souviens d’un cas très exemplaire d’écoute ; c’était vers 4h du matin, on écoutait allègrement et honteusement fort – mais comment l’écouter autrement ? – le Connemara quand ma voisine un peu conne et son copain un peu con viennent sonner à ma porte pour rabattre notre joie. Je leur dis que, bien évidemment, je vais baisser la musique pour qu’ils puissent dormir – ou autre. Mais sans vouloir être mesquin je crois bien qu’ils voulaient dormir, sans ça ils auraient pu copuler sur musique, et pas n’importe laquelle. Au moment où j’entends leur porte se refermer, j’ouvre grand les fenêtres et nous décidons mes camarades et moi de tester la puissance des enceintes et la puissance respective de nos cordes vocales. Son copain un peu con a raccouru avant la fin du premier couplet : je lui ai bien dit que c’était une boutade et qu’il manquait gravement d’humour, mais ça ne l’a pas fait beaucoup rigoler… Bref, ce soir-là, ils ont tué notre Sardou dans l’œuf.
Mais tout ça c’était avant. Un soir, l’alcool aidant, je suis tombé sur le « Temps des colonies », de l’album La Vieille enregistré en 1976. Je crois que c’est là que tout a dérapé. Je vous propose de ne pas entrer dans le débat concernant les nombreuses personnes qui se demandent sur Youtube si la chanson relève d’un mauvais 2nd degré, si elle est « ironique » et qu’aujourd’hui l’ironie n’a plus sa place dans notre société nourrie à la moraline, ou bien encore si, tout simplement, elle est profondément raciste. Un commentateur perspicace – Laurent L – soumet l’idée selon laquelle il s’agirait d’une « chanson Anti-Macron l’Abruti ». Sardou, visionnaire de l’arrivée de Macron au pouvoir dès 1976, quand ManuMac n’était encore qu’un spermatozoïde tout chétif. Libre à vous de choisir entre ces différentes perspectives interprétatives bien que la mienne soit évidemment plus proche de cette dernière. Non, je vous propose qu’on prenne mon cas pour analyser un problème qui dépasse ma petite personne – et sûrement la vôtre aussi –, à savoir celui des phénomènes d’admiration fanatique.
Quand j’étais petit, j’étais fan d’Henri Dès, cet homme interlope qui incite les enfants à acheter des croco pour prendre des bains avec eux[1]. Entre Henri et Michel, c’est-à-dire entre mes 4 et 24 ans, je me suis moqué sans scrupule et en abondance de toutes les sortes de fan – d’Hallyday en passant par les Japonais fans de Mireille Mathieu et les fans de football[2]. J’ai eu un ami intelligent – il avait même un Master en philosophie – qui arrivait pourtant à être fan de foot. Il était incollable, il avait vu le doc’ Arte sur Pelé, connaissait la date de toutes les coupes du monde, le nom de tous les joueurs, défendait les magouilles de Platini corps et âme. Mais, surtout, l’idée qu’on puisse supporter avec tant de passion et de véhémence une équipe comme le Paris Saint Germain Football Club dont on sait depuis la Saint-Glinglin qu’elle ne gagne que parce qu’elle est soutenue de façon mirobolante par nos amis Qataris me laissait pantois. En un mot, j’avais peine à croire qu’on puisse avoir une mimolette devant un but de Neymar. Et pourtant…
Tout s’est éclairci lorsque je suis devenu fan de Michel. Après avoir acheté ses 119 disques, pu me prendre quelques-uns de ses postillons dans le visage lors d’un concert enflammé, rempli mon appartement de produits dérivés divers, j’ai pris conscience que, comme le disait si bien l’expression populaire, l’Amour est aveugle. Au fond, ce cheminement dialectique quasi-platonicien m’avait fait revenir à une vérité bien simple et qui pourrait se résumer par une citation écrite par un certain Maxalexis en 2013 dans Fais-moi l’amour jusqu’à la mort – extraite, je suis honnête avec mes sources, d’un forum de citations contenant le mot « Amour »[3] : « L’amour, le vrai, l’unique, le pur, l’extase pire qu’une drogue dure : à consommer sans modération, écoute ton corps, oublie la raison ! »[4].
Antoine Silvestre de Sacy
[1] Dans une étrange chanson appelée « Le crocodile », disponible sur Youtube et dont le meilleur commentaire concernant celle-ci est probablement celui de ce youtubeur dont l’alias est Blequin et qui y voit l’amorce inconsciente d’une prise de conscience écologique : « Chaque fois que je vois un vendeur d’animaux essayer de vendre un bébé alligator, je repense à cette chanson : preuve qu’il ne faut pas sous-estimer les chansons pour enfants, elles peuvent faire naître une conscience écolo… ». Après, est-ce qu’on voit souvent des vendeurs d’animaux essayer de vendre des bébés alligator…?
[2] Prononcé comme PPDA dans les Guignols.
[3] Le premier sur Google lorsque l’on tape « citations amour ».
[4] J’avais aussi pensé finir cet article que je n’arrivais pas à finir par : « Comme aima à le dire, en guise de transition, notre regretté Jean-Pierre Pernaut, dans 76 des 8413 JT présentés lors de ses 29 années de carrière : “Qu’est-ce qu’on ne ferait pas par Amour ?”. Et, sans transition, football.