Faster, Pussycat ! Kill Bill ? – Tarantino intente un procès pour plagiat par anticipation à Russ Meyer

Russ Meyer est l’inventeur du « soft-porno » à l’heure où le Code Hayes[1] obligeait les cinéastes américains à redoubler d’astuces et d’inventions lorsqu’ils s’efforçaient de porter atteinte au puritanisme américain, aux valeurs établies et partagées – ou bien seulement lorsqu’ils voulaient montrer que l’amour avait été, comme on dit de façon châtiée, consommé. On se souvient de la scène finale de North by Northwest dans laquelle Eva Marie Saint et Cary Grant commencent à s’embrasser langoureusement sur le lit d’un train couchette, scène coupée par une autre montrant le train entrant à grande vitesse dans un long tunnel bien peu éclairé – Code Hayes oblige !

Dans Faster, Pussycat ! Kill ! Kill !, Russ Meyer ne cesse de flirter avec les interdits du Code Hayes. Il se tient, tout au long du film, sur une dangereuse ligne de crête dont il ne choit pas. Ce film de série Z est l’une des grandes inspirations des cinéastes américains contemporains : une sorte de western un peu déjanté et dérangé, relativement immoral et cruel, mettant en scène des voitures de course, des femmes fatales à la poitrine plantureuse, de la musique d’ascenseur et des répliques croustillantes comme : « Des muscles c’est bien, mais avec du pognon c’est mieux », ou encore : « On les laisse voter, conduire, porter des pantalons et regardez le résultat : un Démocrate au pouvoir ! ». Le synopsis tient en quelques lignes : trois femmes – à la poitrine plantureuse[2] – conduisent trois voitures de sport, tuent un homme à main nue, kidnappent sa jeune amie et essayent de voler le butin d’un papi aux penchants plus que douteux en séduisant ses deux fils. L’un est un crétin des Alpes culturiste – qui, d’après les dires de son père, est de sa propre semence, mais n’est pas son fils : c’est un morceau de mouton… – l’autre, relativement plus normal, un benêt qui se jette dans les bras de l’ancienne gogo danseuse Tura Santana en lui susurrant de douces paroles romantiques.

Un nom nous vient sans cesse à l’esprit pendant ce film : celui de Tarantino. Il n’a pas caché d’ailleurs son admiration pour ce film. Il pourrait même intenter un procès à Faster, Pussycat ! Kill ! Kill ! pour « plagiat par anticipation ». Si la notion peut paraître saugrenue, c’est qu’elle fut inventée par un inconnu de l’Oulipo[3], François Le Lionnais, puis conceptualisée plus rigoureusement par Pierre Bayard dans un livre du même nom. Le plagiat par anticipation, c’est le rejet de l’accusation de plagiat sur un auteur antérieur. Les débats font rage depuis quelques années quant à savoir si Tarantino sait faire un film sans reprendre des pans entiers d’autres grands chefs-d’œuvre du cinéma antérieur, au point que ses films se réduiraient à de grands assemblages[4] de scènes extraites de son indéniable culture cinématographique. Clins d’œil et références ou plagiat ?

Si l’on s’efforce de prendre la défense de Tarantino, il faut renverser le problème et affirmer à l’instar d’Alexis Piron dans La Métromanie : « Leurs écrits [leurs scènes, dans le cas de Quentin] sont des vols qu’ils nous ont fait d’avance »[5]. Prenons l’argument au sérieux un instant et raisonnons comme Pierre Bayard : si Russ Meyer est aujourd’hui un illustre inconnu du grand public, Tarantino quant à lui est pour beaucoup – je n’exagère à peine – l’un des plus grands cinéastes de notre temps. D’aucuns considèrent même que « le cinéma commence avec lui »[6]. Or, si l’on observe avec nos yeux de  contemporain le film de Russ Meyer, nous ne voyons plus que Tarantino. Les temps de l’histoire cinématographique et littéraire semblent donc réversibles. Notre conception linéaire et héraclitéenne du temps est bouleversée : nous ne voyons plus en Tarantino les influences d’un Meyer passé aux oubliettes de l’Histoire, mais, à l’inverse, les tarantinades omniprésentes au sein de Faster, Pussycat ! Kill ! Kill !, à tel point que, dans l’ignorance de Russ Meyer, on irait jusqu’à dire que Tarantino a eu une influence considérable sur ce film. Plus encore, si les traits caractéristiques de Tarantino se retrouvent chez Meyer, c’est parce que, pour beaucoup, l’esthétique de Tarantino nous est beaucoup plus familière et qu’il l’a développée dans un nombre conséquent de films qui ont fait date. Si la filmographie de Meyer est conséquente, son influence, elle, ne peut être mesurée que par quelques érudits ou spécialistes.

L’Histoire perd ici ses droits au profit de la notoriété et de la consécration. Phénomène paradoxal s’il en est, qui nous rappelle que l’Histoire, avec sa grande hache, est écrite par les vainqueurs.

À charge de revanche Tarantino.

Antoine Silvestre de Sacy


[1] Censure du cinéma américain de 1934 à 1966.

[2] Une obsession de Russ Meyer…

[3] L’Ouvroir de littérature potentielle.

[4] « Patchwork » c’est stylé mais en vérité ça veut seulement dire assemblage.

[5] Acte III, sc. 7.

[6] Savoureuse réplique de Simon Pegg dans How to Lose Friends and Alienate People.

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