MK2 de la BNF. Un jeudi soir de septembre. Minuit passé. Silence de mort. La projection de 120 battements par minute vient de se terminer. Le générique défile. Longuement. Alors que les spectateurs devraient se presser pour prendre le dernier métro, personne ne bouge, personne ne parle, ni même ose applaudir. Etrange sentiment dans une salle de cinéma, une première même. Grand prix du Jury lors du festival de Cannes cette année, plus de 600 000 entrées au box office à son actif, nul doute que le film a fait sensation.
Attention spoiler !
Ce long-métrage de Robin Campillo nous projette dans les années 90, les années SIDA. Sur un fond techno composé par Arnaud Rebotini, le film retrace un pan de l’histoire folle du mouvement parisien Act-Up et de ses militants, le réalisateur met à l’honneur la lutte contre l’épidémie, à une époque où l’indifférence générale règne.
A l’occasion du premier décembre, journée internationale de la lutte contre le SIDA, découvrons ou redécouvrons ensemble Act-Up Paris.
La naissance d’Act-Up
« Bienvenue à Act Up, créé en 1989 sur le modèle d’Act Up New York. Ce n’est pas une association de soutien aux malades, mais un groupe d’activistes qui vise à défendre les droits de toutes les personnes touchées par le sida. »
Discours d’accueil d’un militant, la première scène du film donne le ton et nous rappelle qu’Act-Up Paris est inspiré d’un mouvement né aux Etats-Unis. En effet, c’est Outre-Atlantique que les premiers séropositifs sont identifiés dès le début des années 80. Act-Up est créé en 1987 de la volonté de sensibiliser la population américaine à la maladie mais aussi à la difficulté d’accéder à des soins. Face à l’urgence de la maladie il faut agir.
Leur signature : des actions (très) médiatiques.
Article du New York Times suite à la première action d’Act-Up NY le 27 mars 1987.
ACTION = VIE
En France, la maladie arrive plus tardivement, mais cela ne l’empêche pas de faire des ravages. L’Institut de Veille Sanitaire déclare près de 30 000 victimes entre 1983 et 1995 (en réalité bien plus).
Face à l’indifférence des pouvoirs publics, il faut agir pour vivre. Ayant pour modèle la version US, Act-Up Paris se constitue en 1989 sous l’impulsion des journalistes Didier Lestrade, Pascal Loubet et Luc Coulavin.
En luttant contre la maladie, sa transmission et les politiques discriminatoires à l’encontre des séropositifs, Act-Up Paris s’engage également dans la défense de la communauté LGBT qu’elle fédère.
Act-Up, provoc’ ou génies de la com ?
Dans les années 90, malgré la progression de la maladie, les problématiques que posent le SIDA perdurent dans l’ombre. Act-Up Paris a bien compris qu’il faut marquer les esprits pour intéresser les médias, le mouvement va alors jouer la carte de la provocation. Entre slogans chocs et happenings, les membres d’Act-Up excellent dans le domaine de la communication et redéfinissent la manière de militer.
Vue générale sur la Concorde, 1er décembre 1993. Crédits : Gérard Julien – AFP.
http://www.ina.fr/video/PAC02035225
Pari réussi en 1993, Act-Up est sur toutes les lèvres lorsque ses militants habillent l’obélisque de la Concorde d’un préservatif géant pour dénoncer le manque de prévention et d’accès aux soins des malades
Campagne d’Outing en 1999, parodie de mariage lesbien à Notre Dame en 2005, manifestations anticléricales en 2009 attaquant Benoît XVI suite à ses propos concernant l’usage du préservatif, flots de faux sangs sur les murs de la fondation Lejeune en 2013…même si beaucoup d’actions du mouvement ont contribué à sa notoriété, ses méthodes ne l’ont pas rendu pour autant populaire.
Le quotidien d’Act-Up ne se résume pas qu’à faire de la communication. L’association participe à de nombreuses discussions regroupant pouvoirs publics, professionnels de la santé et acteurs associatifs. Depuis 2015, l’association travaille également sur le projet Paris Fin Sida 2030 aux côtés de la mairie de Paris. Via le travail établi en commissions, Act-Up mènent des actions de prévention, accompagne les séropos à vivre avec la maladie en s’assurant de leur bonne prise en charge. Les conditions de vie et d’accès aux soins des malades depuis la création d’Act-Up se sont nettement améliorées, le sentiment d’urgence a disparu. Aujourd’hui Act-Up continue la lutte contre le VIH et se concentre également sur des combats plus “sociaux” tels que l’acquisition de droits, la lutte contre l’isolement et les discriminations.
2017, la renaissance d’Act-Up !
SIDA, ce n’est pas qu’au cinéma, comme le rappelle Act-Up dans un récent communiqué de presse.
120 battements par minute tombe juste et redonne un nouveau souffle à l’association sujette ces dernières années à des difficultés financières et une baisse importante de la mobilisation. L’impact du film est visible, les réunions hebdomadaires d’une vingtaine d’activistes font désormais salle comble si bien qu’il a fallu investir un amphithéâtre de l’école des Beaux-Arts afin de pouvoir accueillir tout le monde.
Tandis que Robin Campillo remémore à nos parents et grands-parents des coups d’éclats médiatiques, il permet à notre génération de percevoir l’évolution de la société et du traitement de la maladie et des minorités.
120 battements par minute agit telle une piqûre de rappel, un appel à l’action car la lutte contre le Sida est toujours d’actualité, on compte encore en 2017 près 6 000 contaminations par an et entre 1200 et 1500 morts par an !
Aux Beaux-Arts ou au Rose Bonheur, rejoins Act-Up !
Au-delà du combat contre la maladie, la force du collectif qui est sublimée par le film ne nous laisse pas indifférents.
Act-Up Paris c’est avant tout un collectif. Un collectif pour qui le Sida n’est pas une fatalité. Un collectif qui réfléchit, décide, agit, combat, danse, jouit et pleure ensemble, toujours ensemble.
Si tu es : gouine, pédé, bi, séropo, rêveuse, intellectuel, révolté, idiot, hystérique, utopiste, graphiste, folle, artistes fem, geek, engagé, enragé, indomptables, fétardE…Act-Up a besoin de toi.
Rassure toi, si tu n’es rien de tout ça, Act-Up Paris n’est pas sectaire et a aussi besoin de toi (leur ancienne présidente Emmanuelle Cosse était séronégative, hétéro, cisgenre et féminine).
Act-Up Paris te donne rendez-vous les 1er et 2 décembre dans Paris pour diverses actions et mobilisations à l’occasion de la Fight AIDS Paris Week ou tous les jeudis à partir de 19h30 aux Beaux-Arts pour leur réunion hebdomadaire.
Protège-toi, mobilise-toi, like leur page Facebook et n’oublie pas de danser !
Christine Samandel