(Nous rappelons que les opinions de nos contributeurs n’engagent qu’eux et ne lient en aucun cas la rédaction de la Pravd’Assas, ndlr)
Les lignes suivantes font écho à l’article « L’appropriation culturelle : nouvelle lubie américaine bien-pensante ou réalité néocolonialiste ? » publié il y a quelques jours dans nos colonnes, ndlr
Quelle rigolade ce texte sur l’appropriation culturelle quand même : y’a de la dénonciation, des positions politiques courageuses, des choses dites tout haut et que tout le monde pense tout bas… Plus sérieusement, vous vous doutez bien que pour certaines personnes, ce texte pose quelques problèmes et ne peut pas rester sans réponse tant il participe d’un climat tendu envers les personnes opprimées et de la banalisation des discours réactionnaires. Nous n’aurons pas comme volonté d’être exhaustifs, nous discuterons donc rapidement des principales erreurs que fait le texte de l’autre jour.
Présupposition de rapports neutres entre les cultures
Avant d’aller plus loin, posons une définition sur ce qu’est le racisme. Loin d’être un phénomène propre aux individus, à leurs goûts ou encore leurs peurs, le racisme est un système de domination construisant des races sociales hiérarchisées. Les personnes racisées (1) se construisent par opposition aux blanc.he.s qui représentent la norme sociale, celle pour laquelle il n’y a pas d’oppression raciste. On parle alors de privilège blanc (2).
Il faut alors mettre le concept d’appropriation culturelle dans ce contexte : « l’échange culturel » présenté ci et là comme positif ne peut l’être sans égalité entre les échangistes, ce qui n’est pas le cas, nous l’avons vu juste avant. Les conséquences de ce phénomène sont généralement très concrètes : les blanc.he.s qui s’approprient la culture des autres, dans l’art par exemple, ont structurellement plus de visibilité et passent pour des pionniers tandis que les racisé.e.s se retrouvent à nouveau spolié.e.s de leur propre culture. De la même façon, lorsque certain.e.s font des petites sauteries entre blanc.he.s – le plus souvent – où l’on se déguise avec un sombrero et un pancho, on bouffe des tacos et on crie « Ay caramba » pour s’amuser, on se moque ouvertement d’une culture dominée. D’ailleurs, avez-vous remarqué qu’il n’y a jamais de soirée à thème « mec cis hétéro blanc bourgeois » ?
Les personnes racisées sont déshumanisées par le racisme : on leur crée, même inconsciemment, une essence de voleurs, de manipulateurs, de bons sauvages dont la culture ne trouve une légitimité aux yeux de la société que si un.e blanc.he est dans le coup ; si ce n’est pas le cas on s’en moquera volontiers en faisant un carnaval par exemple.
Dans ce contexte, il n’y a pas « d’échange culturel » possible, ou alors il sera nécessairement une violence symbolique supplémentaire des dominants sur les dominés (3). En définitive, si « l’échange est la richesse de toute culture », il l’est surtout pour les cultures des blanc.he.s
Raisonnement déconnecté de la réalité
Nous l’avons vu tout à l’heure, que ce soit au niveau de l’appropriation culturelle ou au niveau des autres expressions du racisme systémique, les rapports entre les différentes races (non-biologiques) ont un effet avant tout social. Ce n’est pas le fait que les racisé.e.s ne soient pas content.e.s qui est central dans le concept d’appropriation culturelle comme tente de le faire penser le fameux texte. Peu importe, finalement, qu’iels soient « heurté.e.s » ou ne se sentent pas « respecté.e.s » sinon, cela voudrait dire que tant que le.a racisé.e d’à côté est d’accord, on peut balancer toutes les horreurs racistes que l’on veut. Ce qui importe ici, c’est bien de se rendre compte que les comportements racistes tels que l’appropriation culturelle sont des manières de perpétuer un certain ordre social : celui du privilège blanc.
Pourtant, le texte ne fait que parler des impacts émotionnels sur les racisé.e.s. Bien sûr, ici nous ne voulons pas cacher en quoi les comportements racistes peuvent heurter les premier.e.s concerné.e.s, mais se concentrer dessus nous paraît être une sorte de stratégie d’évitement du sujet au pire et au mieux une incompréhension totale de celui-ci. De même, tenter d’évoquer un comportement tel que l’appropriation culturelle en soi ne peut avoir de sens sans rappeler le contexte dans lequel on se trouve. Imaginons une seconde que le racisme n’existe plus, utiliser, s’inspirer de telle ou telle culture n’aurait pas à être considéré comme raciste : cela ne participerait pas à une perpétuation de la hiérarchie raciale en vigueur. Dans le vrai monde réel de la vérité véritable par contre, un tel comportement a les effets que l’on a montré et s’avère donc très problématique.
Aussi, on nous ressort l’excuse de la liberté d’expression, cette même excuse que vous donne votre oncle Jean-Michel qui vient de faire une petite blague sur les noir.e.s ou les arabes. Par ailleurs, on l’entend souvent se plaindre qu’on ne peut plus rien dire et que c’est à cause de la police de la pensée ou des gauchistes bien-pensant.e.s – toute ressemblance avec le texte serait purement fortuite. Pourtant, le propos de ce texte est tellement banal et répété par tou.te.s intuitivement, à la télé, dans les journaux ou même dans la rue qu’on a du mal à croire que la liberté d’expression des racistes soit réellement mise en danger (4). Et quand bien même, cela serait très bien qu’ils ne puissent pas s’exprimer, on est pas là pour faire un débat avec dix minutes pour Hitler et dix minutes pour les juifs.
Un texte tendanciellement réactionnaire
Non seulement l’autrice se montre incapable d’exercer un travail d’information correct pour comprendre les concepts qu’elle tente de manier mais cela a pour conséquence de la faire rejoindre les rangs de ceux qui hurlent au racisme anti-blanc et à une ségrégation inversée. Peut-être est-ce une maladresse de plus, mais l’évocation de la non-mixité raciale dans le cadre du camp décolonial peut nous renseigner un peu plus sur sa pensée. Il faut bien voir que le « racisme anti-blancs » n’est pas une réalité dans cette société. Les blanc.he.s n’auront jamais de problèmes en tant que blanc.he.s pour trouver un appartement, un travail, aller en soirée (5). De même, leur non-mixité blanche, qu’elle soit au gouvernement, dans les directions des grandes entreprises et bien d’autres cercles de pouvoir n’est jamais remise en question : elle est invisible, normale.
Enfin, ces lieux ou moment de non-mixité racisée ont pour but de pouvoir vivre des moments où l’on n’a pas besoin de gérer les comportements racistes des dominant.e.s : c’est déjà une contrainte de devoir le faire, de subir les levées de boucliers continues dans les médias et sur les réseaux sociaux, pensez-vous vraiment que l’on soit en présence d’un racisme inversé ? Au contraire, il ne s’agit pas dans ce cas d’un comportement de dominant.e.s exerçant leurs privilèges mais d’un mécanisme d’autodéfense des opprimé.e.s, forcé par la domination blanche. Mettre la non-mixité invisible et la non-mixité racisée sur le même plan, c’est encore vouloir caractériser les choses de manière déconnectée, dans le monde des idées ou tout se vaut ce qui joue généralement en faveur du statu quo, c’est-à-dire le racisme. Défendable ? Difficilement. En attendant la fin des oppressions, on se délecte de vos whitetears dans notre confortable « apartheid justifié par l’apartheid ».
Ricardo Davalos
(1) Il faut bien comprendre ce mot comme renvoyant à un processus systémique indépendant de la volonté. Les personnes racisées le sont par la société et la culture et non pas par une essence ou la nature. On oublie ici toute notion biologique dans la définition de race.
(2) Le terme privilège peut être débattu puisqu’une majorité de la population peut difficilement être considérée comme privilégiée mais nous utiliseront ce mot ici pour plus de lisibilité.
(3) Ce qui ne veut pas dire que tou.te.s les dominé.e.s le ressentent, l’intégration du stigmate est une caractéristique du racisme et même la connaissance de ces mécanismes n’aide pas toujours à se défaire de comportements acquis.
(4) Rappelons que la liberté d’expression n’existe que pour celleux qui ont un rapport de force en leur faveur : celui qui ne peut s’exprimer que dans son hall d’immeuble ou sur les murs de sa ville jouira en théorie de la même liberté d’expression qu’un.e journaliste mais elle ne se matérialise pas et ne peut pas être exercée avec le même impact. Vous reprendrez bien un peu de matérialisme ?
(5) En tant que blanc.he prolétaire, femme, minorité de genre c’est possible par contre. Mais l’intersectionnalité est un autre sujet.