The Florida Project

À la sortie d’une salle de cinéma, il est parfois difficile de dire si on a aimé le film qu’on vient de voir ou pas. On est perplexe ou tiraillé. Tout dépend de la salle, de l’heure, l’après-midi ou le soir, de l’humeur qu’on a ce jour-là, si on est seule ou accompagnée, et par qui.

J’en ai encore fait l’expérience récemment. C’était près de la Place Clichy à la sortie du Cinéma des Cinéastes où je venais de voir The Florida Project.

Souvent le lendemain on a les idées plus claires. Et le surlendemain plus encore. Et là, la tendance s’inverse, à l’hésitation de la veille succède le côté péremptoire du jugement. Très exagéré souvent. Du type : « C’est un chef-d’œuvre » ou « Quel navet ! ». Réaction et contre-réaction fréquente chez les jeunes qui se cherchent une personnalité et se doivent pour cela d’avoir une opinion tranchée sur tout et notamment en art.

Jeune moi-même, je n’ai pourtant pas hésité longtemps. En un mot comme en mille, le film de Sean Baker The Florida Project est excellent. Certes l’histoire a du mal à démarrer car en fait, il n’y a pas vraiment d’histoire. Ce n’est pas une comédie, ce n’est pas un drame non plus. C’est finalement ce qu’il est convenu d’appeler « une tranche de vie ». Celle d’une banlieue pauvre en Floride, et plus particulièrement celle de Moonee, petite fille âgée de six ans vivant avec sa très jeune mère, dans un motel proche de Disneyland. Jeune et joyeuse, la petite fille fait les 400 coups avec d’autres gamins du motel.

C’est gentil, parfois un peu longuet. On sait cependant qu’on va vers un drame, forcément. Tout nous dit qu’on y va, et que, suite à tout ce mélange de guimauve et de pauvreté finalement joyeuse, la chute n’en sera que plus dure. Le bruit en sourdine quasi permanent des hélicoptères nous en convainc en donnant une atmosphère de tension en arrière fond comme s’il s’agissait d’oiseaux de mauvais augure.

Les héros du film sont des enfants. Ce sont eux les narrateurs et c’est par leurs yeux que l’on vit, nous aussi, dans cette petite communauté. Toute une atmosphère est créée. Une alchimie de petits riens, derrière laquelle il y a un grand magicien. Manifestement, Sean Baker n’est pas né de la dernière pluie et dans tous les domaines, on voit que l’on a affaire à un maître.

Par le choix des acteurs d’abord, tous parfaits ou presque. La petite Moonee (Brooklyn Kimberley Prince) si naturelle, touchante et pleine de vie. Le génial Bobby (Willem Dafoe), responsable du motel, dont le jeu est tout à la fois juste, vrai et plein de bienveillance. La jeune mère, Halley (Bria Vinaite), une paumée écervelée et vulgaire, pour laquelle on a du mal à éprouver de la pitié. Mais c’est le rôle qui veut ça, et elle le joue très bien.

Par la photographie ensuite. Tout est calculé et rien n’est laissé au hasard. Les angles de vue, le cadrage, le découpage des scènes et les couleurs. Les couleurs justement, parlons en. La maîtrise qu’en a le metteur en scène est stupéfiante. Du violet, du rose, du bleu pâle et des gris bleutés, de l’orange, du mauve, du délavé, du menthe à l’eau, de la barbe à papa. Des couleurs mouillées, des flaques d’eau, un arc en ciel et un soleil souvent timide et voilé.

De tout cela naît une grande poésie, puissante et discrète et que l’on ne perçoit qu’après coup. Oui, vraiment un grand film et une grande émotion. Émotion oui, car finalement, pour savoir si un film est bon, moyen ou mauvais, il y a un signe qui ne trompe jamais. Infaillible.

C’est la fin, les toutes dernières images, celles qui donnent a posteriori toute la tonalité du film. Là, le spectacle n’est plus à l’écran, mais dans la salle. On est dans le dramatique, l’émotionnel, le pathétique, le déchirant, l’indicible.

Tout d’un coup, l’écran était devenu noir. Etait-ce une césure entre deux scènes ou la fin du film ? Une seconde plus tard – une éternité – le générique s’est mis à défiler sans musique, sans rien, dans le noir. C’était fini. Rien, pas un bruit, pas un geste. Indicible en effet. La salle est restée comme pétrifiée. Personne ne partait. Scotchés de chez scotchés ! J’avais déjà constaté ce phénomène de sidération une seule fois, devant l’ultime image du film Moonlight où l’on voit le personnage principal, seul face à la mer.

 

Une seule chose vous reste à faire.

Aller voir The Florida Project.

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Madeleine Anglès d’Auriac

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