Le portrait de Dorian Gray, à la recherche d’une représentation perdue

Adaptation théâtrale dirigée par Thomas Le Douarec. Avec Arnaud Denis, Fabrice Scott et Caroline Devismes.

Un texte difficile à mettre en scène…

Pour nos chers lecteurs qui ne connaitraient pas l’unique roman d’Oscar Wilde ; c’est l’histoire d’un jeune homme d’une extraordinaire beauté dont le très talentueux peintre Basil Hallward fera le portrait. Seulement, corrompu par Lord Henry Wotton lors d’une séance de peinture, le dandy à la vie mondaine fera le voeu insensé de garder l’éclat de sa jeunesse toute sa vie durant pendant que son portrait, lui, prendra les marques de sa vieillesse, de ses passions et de ses pêchés.

Le roman de Wilde s’étend au travers de 18 longues années, durant lesquelles Dorian Gray s’enfoncera peu à peu dans la débauche. L’unité de temps et d’action rend donc la mise en scène difficile. En outre, ce roman fantastique est également philosophique, soulevant les thèmes de la morale, de la beauté, l’art, la jeunesse ou encore du plaisir. Le texte est dense et ses personnages complexes, rajoutant une contrainte scénique. Cela étant posé, laissons-nous embarquer par ce cher Dorian.

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Des performances hétérogènes

Le premier point noir de cette représentation est le dissonant jeu des comédiens. Premièrement, Lord Henry Wotton se démarquait nettement du reste de la distribution. Il semblait maitriser parfaitement son rôle, se relâchant, s’amusant, profitant du moment présent. Cela sautait rapidement aux yeux, et l’explication est simple : Lord Henry était incarné par le metteur en scène, Thomas Le Douarec, sa brillante interprétation n’est donc guère étonnante. Seulement, si cette maitrise est très appréciable pour le public, elle impose aux autres un aussi bon niveau, et il n’en fut malheureusement rien.

Dorian Gray, quant à lui, se débrouilla assez bien. Grand, beau, lumineux, il incarnait physiquement bien à l’idée que l’on se fait de Gray. Son interprétation sincère fut plaisante. Un de ses défauts aura été un ponctuel manque d’ascendant sur le texte, l’on sentait en effet parfois le comédien sombrer dans une plate récitation de ses répliques. Outre cet écueil, qui ne fut qu’occasionnel et non pas envahissant, la performance d’Arnaud Denis était de qualité.

Deux autres comédiens jouaient dans cette pièce. Fabrice Scott, qui tenait principalement le rôle du peintre Basil Hallward, et quelque peu celui de James Vane, avait un défaut de taille : sa diction. Il est des comédiens, à l’instar de Dominique Blanc dont le phrasé est particulier, et auquel l’oreille s’habitue la représentation durant, ne posant ainsi pas de problème. Cependant ici, le comédien articulait souvent mal ses mots et surtout ses fins de phrases, rendant parfois son propos difficile à comprendre, ne permettant pas à Fabrice Scott de transcender son jeu de surcroit. Le comédien était plein de bonne volonté et sa technique, hormis sa diction, était assez appréciable, mais un cap n’a pas été passé pendant la représentation, ce qui , au regard de l’énergie déployée, est assez regrettable.

Enfin, la dernière comédienne Caroline Devismes, qui jouait trois rôles, dont ceux de Sibyl Vane et de La Duchesse. Sa voix était mal posée, irrégulière, le jeu dépourvu de tout relief et donc de transmission d’émotion. Cette piètre performance pénalise l’ensemble de la représentation, tant le personnage de Sibyl Vane est primordial dans l’existence de Dorian Gray.

Pour résumer, le jeu des comédiens fut inégal, avec un Lord Henry Wotton très bon, un Dorian débrouillard, un Hallward boiteux et une Sibyl mauvaise. Ce manque d’homogénéité empêche deux choses : garder le rythme et permettre à la fiction d’opérer.

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Une mise en scène essoufflée

Passons désormais au filage de l’histoire en elle-même. Les contraintes spatio-temporelles de l’oeuvre de Wilde imposent une exigeante mise en scène qui se doit de garder une bonne cadence tout le long. Ce qui ne fut malheureusement pas le cas. Certaines scènes telles que celle du cabaret ou encore celle de la chasse sont bien trop longues, plates et essoufflent la pièce. Outre cela, il est d’un manque de constance dans presque chacune des scènes, où les comédiens alternent entre platitude et excès, ce qui ne donne pas de relief à leur jeu, mais au contraire de la superficialité.

Autrement, l’espace était globalement assez bien occupé, surtout Douarec, étonnamment ! Une scène très intéressante est celle où Lord Henry et Hallward se maquillent sur scène devant le public. Cela peut faire penser aux changements de décor en pleine lumière, montrant au spectateur le changement. Ici, le deux comédiens discutent en se fardant le visage pour se vieillir et le montrer au public. Ce moment rappelle ce qu’est l’art théâtral : l’incarnation éphémère d’un personnage, touchant l’art par l’artifice. Cette scène est bien menée, les deux acteurs effleurent du doigt tout le long le quatrième mur sans jamais briser l’illusion théâtrale, c’est très réussi.

Outre cela, le traitement de la lumière est assez grossier, aussi bien au niveau des couleurs en elles-mêmes, qui, quoique bien choisies, manquent de nuance, qu’au niveau des transitions.

En quelques mots, le filage en lui-même manque de rythme, rendant la représentation parfois ennuyeuse. L’espace est bien pris par les comédiens et avec fluidité, mais la lumière gagnerait à recevoir plus de finesse. Le bilan de la scénographie est similaire à celui du jeu des comédiens : inégal.

Un portrait inégal

Pour conclure, la pièce de Douarec n’est pas sa plus grande réussite. L’hétérogénéité du jeu et de la mise en scène rendent la représentation pénible. Certes l’ouvrage est difficile à adapter, néanmoins certains écueils, tels que la déficience des performances ou le manque de qualité sur la lumière auraient pu être évités. C’est donc un bien triste hommage rendu au très bel ouvrage d’Oscar Wilde, qui n’est manifestement pas fait pour être adapté sur scène, mais se destine plutôt à être lu. Rendez-vous non pas sur les planches mais en bibliothèque.

Axelle Konini 

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