Ces quelques secondes où le temps s’arrête, où tu retiens ton souffle, où tu vois ta vie défiler tout doucement, où, malgré tout le bruit ambiant, tu n’entends qu’un silence assourdissant.
Ça y est, ta vie n’est plus entre tes mains, mais elle se trouve bien entre les cases de cette maudite roulette, car oui, tu as posé tes derniers jetons sur le rouge, et tu pries pour que la petite bille s’arrête sur ta couleur, celle de ton sang, du sang qui coulerait presque de tes yeux tant tu es stressé.
Une chance sur deux. Tu te dis c’est tranquille, tu joues la sécurité en misant sur la couleur. Alors tu mets des jetons, et tu en remets parce que tu trouves qu’il n’y en a pas assez. Un dernier coup d’œil avant que la roue tourne, et hop tu rajoutes un dernier jeton sur la case. Ça y est, le jackpot est pour toi : tu as tout misé sur le rouge et tu as eu raison de le faire. Tu vas devenir riche. À toi les voitures, les palaces et les filles de joie. C’est gagné avant même la tournée. Pourquoi? Parce qu’une chance sur deux c’est déjà trop pour toi, non toi t’es un flambeur, un « gros poisson » dans le monde du casino, un requin. Cette roulette, c’est une mise en jambe pour toi, et cette mise une petite enjambée.
Tu te jettes à l’eau. La routourne tourne enfin, et voila petite bille lancée. Tu te rends compte qu’elle est petite quand même cette bille, elle représente pour toi le fil mince séparant ta misérable vie sans intérêt à celle du futur Crésus que t’as toujours rêvé d’être et ce, malgré ton physique ingrat de thon. Elle est enfin pour toi, tu es confiant. La bille ne s’arrête pas, jamais, le temps semble interminable, tu as eu le temps de boire trois cafés, diner et voir Marseille battre Paris quand elle se pose enfin.
Et bien voila, parce que t’as vu l’asticot bouger sous l’eau, tu te retrouves comme un con, dans le filet du pêcheur, de la société, de Satan, du dénommé croupier, qui, sourire aiguisé et canines tranchantes, te regarde et ramène vers lui tous tes jetons d’un coup de main aussi diabolique que dévastateur. Si ce geste, il l’a répété mille fois, c’est toujours un plaisir pour le loup de croquer un agneau comme toi. Car oui, la bille est tombée sur une case noire, aussi noire que ton visage. Tu as envie de crier au scandale, d’hurler à la mort, de jurer sans fin, d’invoquer tous les dieux. Pourtant, pas un son ne sort. Tu te pinces. Eh non, c’est bien vrai. Alors tu craques. Tu veux dénoncer, prouver la fraude dans ce jeu de « hasard », et le croupier, insensible, n’ayant que faire d’un énième rigolo comme toi, semble te regarder et vociférer « PAYEEEEEEEE, PAYEEEEE, TU PAAAYES MAINTENAAAANT ».
Tous tes rêves brisés, muet comme une carpe, ton compte en banque titube, tu te retrouves comme ces poulets : décapités, vidés, plumés. Tu ne peux rien face à cette machine destructrice, cette broyeuse, et tu erres désormais dans une nuit, une vraie, une nuit de solitude, pas de ciel étoilé, pas d’étoiles filantes, rien ne file, tout stagne.
Oui mais ce n’est pas ce qu’il faut retenir, parce que l’espace d’un instant, tu as eu l’impression de vivre plus que tu n’as jamais vécu en une vie: c’est ça être vivant. Prendre des risques, et, dopé d’adrénaline, attendre un dénouement tragique.
Ne regrette rien, économise et recommence : mise tout sur le rouge, encore, et pour toujours.
Et n’oublie pas, t’as aucune chance, alors saisis la.
Le Rifou