Les toits de Paris : vue imprenable sur des quotidiens étriqués

En partie occupés par des étudiants, les toits de Paris abritent aussi bon nombre de travailleurs, pour lesquels cette situation de précarité et de promiscuité est d’autant plus douloureuse au quotidien, que sa durée est indéterminée. Faute de moyens, ces travailleurs pauvres doivent stocker et construire leur vie dans quelques mètres carrés. Parmi eux, Claudine et Benjamin. Ils habitent le 7ème arrondissement et nous font partager leur quotidien.

Le très chic 7ème arrondissement de Paris offre à ses résidents un décor de carte postale. La dame de fer qui nous observe avec bienveillance ne laisse aucunement transparaitre une réalité bien moins idyllique. La précarité, elle est pourtant là, sous les toits du 7ème. Avenue Rapp, à quelques pas du champ de Mars. Une fois franchie l’immense porte en bois de l’immeuble bourgeois, nous accueille un vaste hall d’entrée en pierre et en miroirs impeccablement entretenu dont le parfum comme le faste nous envoûte. Une porte vitrée laisse entrevoir un somptueux escalier en marbre, fer forgé et tapisseries écarlates. Mais, face à nous, au fond d’une courette, la dolce vita parisienne s’arrête brusquement. La mise en scène architecturale organise la ségrégation sociale. Passé la petite porte défraichie, il faut maintenant gravir cet interminable escalier en bois : sombre, étroit et sale. Cette pénible ascension donne le sentiment, au fur et à mesure des étages, de se retirer dans un donjon, au sens propre comme au figuré. Un quartier, un immeuble, deux réalités.

C’est sept étages plus haut que vit Claudine, cinquante-sept ans, femme de ménage d’origine Ivoirienne et son voisin de palier Benjamin, vingt-neuf ans, comédien et danseur. Vivre à Paris sous des combles vieillis et très mal isolés s’avère être un combat journalier. La vue extraordinaire de Claudine sur la tour Eiffel depuis sa fenêtre n’est qu’une maigre consolation. Voilà dix-sept ans que cette aide-ménagère habite une pièce sombre et encombrée de treize mètres carrés. Comme dans bon nombre de chambres de bonne, le confort est sommaire et l’isolation réduite au minimum. Ce jour-là, le thermomètre n’affiche pas vingt degrés dehors, la capitale est à peine ensoleillée et pourtant la chaleur gagne déjà sa pièce à vivre comme un four qui préchauffe avant l’arrivée de l’été ; saison redoutée sous les toits. Benjamin explique que les jours de grosse chaleur, il doit allumer jour et nuit son ventilateur. Il est même contraint d’entrouvrir sa porte d’entrée et son petit velux pour faire du courant d’air. « C’est irrespirable sinon, c’est le seul moyen pour que l’air circule. » raconte-t-il.

Vivre de promiscuité et d’insalubrité

A ce confort rudimentaire s’ajoute l’insalubrité. Claudine qui n’avait à son arrivée pas même un chauffage, doit affronter les températures extrêmes avec un simple chauffage d’appoint et un ventilateur. Elle déplore cette situation : « En hiver il fait tellement froid ici. Tout le mur est noir d’humidité ». « Rien est aux normes » acquiesce Benjamin en fixant ses « guirlandes », fils électriques en suspension dans sa chambre. Encore la semaine dernière, déclare-t-il, le technicien venu installer le nouveau compteur m’avertissait de la vétusté des installations et de sa dangerosité. A son arrivée il y a quatre ans, il confie même avoir eu des colocataires plus qu’indésirables : « J’ai horreur des cafards. Je ne dormais plus la nuit. »

Dans neuf ou treize mètres carrés, tout, c’est-à-dire le minimum vital, est à portée de main. Répondre à ses besoins vitaux, tels qu’un minimum d’hygiène, manger et dormir s’avère être, pour ces citadins un calvaire organisationnel au quotidien.

« Je passe la journée à déplacer et ranger » constate Benjamin. Ces rituels dont il se passerait volontiers, rythment son quotidien. Pour avoir la place de déplier sa table à manger, il lui faut plier son canapé lit. De même, pour se brosser les dents, il lui faut au préalablement finir sa corvée vaisselle, dans le lavabo. Par ailleurs, si lui, a la chance d’avoir une douche, ce n’est pas le cas de Claudine, qui doit se doucher dans des toilettes à la turque en piteux-état situés sur son palier. « Ma petite-fille de huit ans a vécu ici avec moi, je devais la laver dans les toilettes. C’était très difficile » déclare-t-elle, émue ; en effet, ces conditions de vie l’ont contrainte à renvoyer sa fille en Côte d’Ivoire. Enfin, dans le coin de sa chambre sont discrètement entreposés quelques seaux. Elle explique honteusement, devoir y faire ses besoins car la chasse d’eau des toilettes sur le palier est pour le moins très capricieuse. « Je n’ai pas le choix » regrette-t-elle.

« On ne s’y habitue jamais »

Quelques mètres carrés pour stocker toute une vie et la poursuivre est loin d’être une mince affaire. Il y a tout juste la place de se déplacer d’un bout à l’autre de la pièce, chaque centimètre doit être optimisé. « Une patronne m’a donné deux sacs de vêtements pour ma fille. Regardez ça prend déjà tout l’espace ! » s’exclame Claudine. A défaut de pouvoir pousser les murs, elle suspend et entrepose une majorité de ses vêtements dans des boites en plastique qui font ainsi office de meuble télé et de table de chevet. Benjamin quant à lui, explique avoir adopté un mode de vie consistant à se contenter de peu et ne garder que l’essentiel pour ne pas encombrer davantage son espace de vie.

La promiscuité avec les voisins pèse aussi sur le quotidien de ces habitants car en plus de devoir partager les commodités, il faut aussi partager une partie de son intimité. Intimité qui, du temps d’Haussmann était pourtant au cœur de l’enjeu de la création de chambres de bonnes. Entre les toilettes sur le palier et les murs comparables à des feuilles de papier, se pose aussi le problème des odeurs de cuisine. Pour Claudine qui adore s’afférer aux fourneaux, vivre dans un petit espace, si mal équipé est très frustrant. Elle s’autorise à cuisiner tant bien que mal ses repas pour la semaine uniquement le weekend, pour ne pas gêner ses voisins avec la forte odeur de cuisine africaine. « Moi qui adore la bonne cuisine, je ne peux même pas cuisiner et recevoir comme je veux » explique-t-elle. Se pose ainsi la question de l’exclusion, qui semble être un sentiment partagé par ces résidents. Benjamin fait en sorte de fuir son quotidien étriqué en restant le moins de temps possible dans sa chambre. Il déclare notamment avoir l’impression de « tourner en rond comme un lion en cage ». Claudine partage aussi un sentiment d’étouffement et se réfugie quant à elle dans le travail. « Ce n’est pas une vie. C’est dur. On ne s’y habitue jamais » admet-elle.

Ces deux habitants des toits de Paris souhaiteraient pouvoir s’enfuir, prendre leur envol. Cependant, pour eux, ce quotidien étriqué ne semble pas être transitoire, l’horizon reste brouillé. Les éclaircies se font attendre.

Sousa Léa

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