Pourquoi la musique française fait-elle son grand retour ?

Odezenne et son électro-rap inclassable, Pépite et son indie-pop, Juliette Armanet et sa variété envoûtante, Radio Elvis et son rock-indie : la liste est variée , les styles encore plus.

Après des décennies de suprématie américaine dans la musique, une nouvelle vague d’artistes francophones déferle et ça, c’est chouette. Au-delà d’un simple retour à la langue maternelle, ces artistes se réapproprient l’élocution française, exploitent son charme, sa poésie, sa complexité et ça, c’est encore plus chouette ! Adieu Les démons de minuit, fini Le Lac du Connemara comme chansons qui signalent la fin d’une soirée ; faites place à une nouvelle génération au style composite représentatif d’une génération en quête de sens.

            Pendant trop longtemps, les grands hits américains monopolisaient nos radios, si bien que la loi est venue imposer 40 % de titres francophones diffusés à l’antenne. Auparavant rarement respecté, ce quota semble aujourd’hui totalement désuet : des radios comme France culture ou  Virgin radio diffusent près de 75 % de musique française depuis janvier 2017.

Ce fait nouveau dévoile un affranchissement de l’influence américaine dans la musique française. Une influence qui a débuté dans les années 50 avec les icônes de la contre-culture anti-puritaines telles qu’Elvis presley, Johny Cash ou Bob Dylan, la chanson française n’attirait plus une jeunesse qui rêvait de l’idéal américain. Un idéal si fort qu’il transforme les artistes français : Jean-Philippe Smet se transfigure en Johnny Hallyday, Claude Moine se renomme Eddy Mitchell; blues, country, rock : la musique américaine nous envahit.

Peu à peu, les icônes du nouveau-monde aux textes magistraux s’estompent. Trafalgar square et Woodstock cèdent leurs places à un soft-power abrutissant. Les styles se banalisent : vient une uniformisation morne, répétitive du catalogue musical américain. Un son bourré aux hits composés des quatre mêmes accords majeurs connus et reconnus. La musicalité devient omniprésente et masque le manque de profondeur des textes. Viens bouffer tes trois volumes annuels des « NRJ Hits », buffet à volonté jusqu’à indigestion.

            Summum de l’humiliation, le mouvement de la « French Touch »; ces artistes français triomphent aux États-Unis mais sont totalement inconnus en France. En tête, des groupes comme Daft Punk ou Phoenix, découverts en France cinq ans après leurs succès outre-atlantique. Paroles en américain, thèmes culturels américains, codes américains, producteurs américains, public américain, ils n’ont de français que leurs fiches d’impositions, et encore ?

 

Un renouveau des artistes français génialement ringards

Mais pas d’inquiétude, la relève arrive, et avec des codes bien à elle ! une jeunesse qui ose un registre décalé, kitsch à souhait et faussement ringard : mais toujours assumé.

L’exemple parfait de cette génération s’appelle Pr2.B. Le clip de son titre Océan Forever fourmille d’influences antinomiques comme le son d’un mauvais synthé des 80’s en accord – ou sublime désaccord – avec une prose sur le mal d’aimer. Le clip, aussi lo-fi que sa production, est une pseudo-vidéo karaoké, regard caméra réalisé au vieux caméscope de famille. Ce clip fort ringard se lie parfaitement à sa musique, et y donne un aspect étonnement travaillé. Du même registre qu’un film-indé tourné en Corrèze : c’est gênant, c’est moche, mais on trouve ça « touchant »; bobo de merde. Rencontre osée entre Brel, Barbara et la techno de la culture club, la sonorité hybride de Pr2.B vise à montrer la  richesse de la musique française, à la fois violente et passionnée. Elle s’inscrit dans cette nouvelle vague francophone, « nourrie à la technologie et aux questions actuelles » bien loin de l’anglicisme – trop – souvent de rigueur.

Osons plus ! ce renouveau des chansons à textes dévoile l’expression d’une génération complexe et emplie d’influences opposées. Pleine de doutes, elle exprime sa profonde quête de sens par une recherche du mot juste, par une liberté d’interprétation faussement simpliste, par une esthétique nouvelle. Cette relève s’élève en un renouveau du chanteur engagé, figure qui a cruellement manqué ces dernières années – non, il ne suffit pas de chanter pieds nu et crier « j’aime l’Afrique » pour être considéré comme tel, bisous Yannick.

Ainsi, cette nouvelle génération se définit comme porteuse d’une « musique savante, bien orchestrée, aux paroles intelligentes » par Juliette Armanet, autre révélation francophone qui n’hésite pas à reprendre en français I feel it coming de The Weekend où elle joue à la fois de l’autodérision et de la musicalité de la syntaxe française : il en ressort une fragilité touchante.

Ces artistes aux textes travaillés ont pour ambition de mettre en lumière des thématiques actuelles, reflet d’une génération en plein chamboulement. A nouveau, les exemples sont nombreux, « Fauve”, « Eddy de Preto » ou encore “Christine & the Queens” qui popularisent, à travers un style androgyne, leur jeu de scène et leurs textes incisifs, une pensée queer et sexuellement décomplexée qui parle à la société actuelle.

 

Une réappropriation de sa langue maternelle intime et complexe

Dernier parangon de cette renaissance, et de loin le plus époustouflant, Feu! Chatterton : nouvelle égérie du Rock français voire à la française.

Pétris d’influences multiples, ils sont caractéristiques d’une génération subtile mais indéfinissable. Anciens élèves de Louis-le-Grand, style dandy et mèches faussement négligées, ils touchent à tout : rap, indie-pop et même underground. Leur génie tient alors dans la diversité de leur musique qui se caractérise à la fois par de sobres reprises de poèmes d’Aragon, Céline ou Baudelaire, que par des titres qui visent à déconstruire -avec une élégante finesse- la notion latine de virilité du mâle sur scène.

Plus encore, c’est en jouant des mots que ces artistes s’arment véritablement de la langue française et de ses caractéristiques. Elle n’est plus utilisée -comme c’est le cas pour l’anglais- comme simple outil pratique de communication mais comme l’élément principal de la création musicale. On joue des subtilités de la langue française,  ses mots et ses lettres muettes, ses liaisons et ses consonances tant germaniques que latines, aussi gutturales que rythmées. De cela nait une véritable prosodie qui élève l’emploi du français comme instrument central de la création musicale.

            Voilà donc, dans nos oreilles ébahies, un aspect charnel et profond de la langue française qui offre une crédibilité à ce mouvement. Les sonorités particulières de cette nouvelle syntaxe donnent à ces artistes une touche française mélodramatique unique,  incomparable, époustouflante.

Plus encore, ce retour à la langue maternelle est un processus complexe et intime pour l’artiste qui se doit d’écrire avec une certaine gravité, et avec moins de légèreté qu’en anglais où la sonorité des mots étouffe leur sens. Et c’est là tout la vertu de la chanson française dont ne pourront jamais se targuer nos voisins anglais. Ce rapport à la langue est essentiel, Mohammed Dib -écrivain algérien tiraillé entre identité algérienne et culture occidentale, entre langue et nature des choses- y faisait dors et déjà écho dans « L’arbre à dire ».  Ces complexités soulèvent chez lui divers interrogations, faisant écho aux générations contemporaines: « Je parle une autre langue: qui suis-je? ».

Et c’est là toute l’essence de ce retour ardent de la musique française; « La traversée d’une langue est une recherche de soi. Je suis toujours en marche vers cet horizon. Chaque phrase est un pas de plus».

            Véritable introspection en reconquête de sens, cette idée dépeint avec finesse ces artistes français qui embrassent à nouveau la chanson comme outil de l’idée, magnifiée par le goût du mot.  Amen.

Brieuc Descat

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