Lucrèce derrière le masque

L’histoire de la famille Borgia fut reprise par de nombreux auteurs et dramaturges. La pièce en question, est écrite par Victor Hugo. En résumé, le patriarche de cette famille se nomme Rodrigo Borgia, il fut pape de 1492 à 1503 sa vie ne fut que débauche, inceste, assassinats et complots. Il se trouve que Rodrigo est aussi père de trois enfants : Lucrèce, Jean et Cesare. La pièce en question s’inscrit dans la mythologie des affres de cette famille.

Après une relation incestueuse avec son frère Jean, un enfant naît. Cet enfant est enlevé à sa mère pour être ensuite caché. Et c’est là que la magie de la maternité opère, Lucrèce
femme damnée haïe par toute l’Italie, éprouve un amour inconditionnel pour son fils. Mais ce même enfant est devenu un homme, un soldat qui grandit dans une Italie déchirée par les complots des Borgia. Il déteste cette femme sans imaginer un instant qu’elle puisse être sa mère. Cette pièce de Victor Hugo, c’est l’histoire d’une mère qui, rattrapée par son passé cherche une rédemption dans l’amour qu’elle éprouve pour son fils.

Lucrèce Borgia avait déjà été mise en scène par Denys Podalydès l’année dernière, et avait été, très bien accueilli par la critique. Cette année la pièce revient sur les planches avec une distribution différente.

Les costumes nous plongent dans cette Italie violente et romantique. Les effets de manche sont réussis. Les masques sont eux aussi utilisés à bon escient et nous restituent une Italie mystérieuse et gangrenée par les complots. Derrière ces masques, se cachent des personnages déchirés, une fois les masques enlevés, ils peuvent se livrer à leurs émotions et nous transmettre leur passion. Les masques apportent un travestissement que le jeu des comédiens accompagne à merveille, on ressent une vraie différence entre les scènes où ils portent le masques et celles où ils sont à visage découvert. Et enfin lorsque le masque tombe chacun d’entre eux peut, se livrer plus intimement à ses désarrois et ses sentiments.

Les décors sont sombres, glaçants. Au début une gondole vénitienne échouée pose le décor. L’atmosphère qui se veut mystérieuse arrive à démêler l’intrigue des protagonistes, le fond de la scène est fermé par des peintures où le ciel et l’océan se déchirent. Ces toiles sont sombres et violentes, elles élargissent l’espace, ouvrent le jeu et marquent un vrai contraste avec l’amour que déclame Lucrèce pour son fils.

Au milieu de cette noirceur, un jeu, qui éclaire l’amour platonique de Lucrèce pour Gennaro. Lucrèce est interprétée par Elsa Lepoivre qui passe talentueusement de la femme cruelle à la mère aimante. Son jeu est ample et lui permet d’occuper l’espace. Gennaro, interprété par Gaël Kamilindi,  arrive lui aussi à communiquer la jeunesse et la fougue de son personnage qui est souvent écrasé par le personnage de Lucrèce dans le texte original. Thierry Hancisse est bouleversant et donne une vrai force à la mise en scène, dans le rôle du Gubetta. Il incarne physiquement, vocalement et gestuellement avec force les vices de cette époque, la scène où il chante et danse est particulièrement impressionnante de par sa justesse. Thierry Hancisse et Elsa Lepoivre posent la cadence avec brio. Le rythme et les costumes font monter l’attente du spectateur qui est accompagné avec puissance vers le dénouement tragique de cette histoire.

Le jeu est difficilement critiquable, il est indéniable que les comédiens jouent bien, très bien même. Un jeu volontairement appuyé et parfois exagéré pour exacerber cette passion. Toutefois, on pourrait reprocher à la mise en scène d’apporter trop de scènes comiques, qui gâchent certains moments d’émotion. Quand vient la fin, au moment où la tragédie devrait être à son paroxysme, l’émotion aurait pu être plus grande, plus présente. On pourrait se demander si certaines pièces ne demandent pas plus de sobriété pour appréhender plus efficacement les émotions des personnages.

On peut dire que c’est un succès, la mise en scène se prête à la poésie du texte, pour nous
amener progressivement vers le dénouement tragique que porte merveilleusement bien
Elsa Lepoivre. Une pièce méconnue de Victor Hugo que l’on gagne à découvrir grâce à une adaptation talentueuse.

Adrien Bournazeau

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