Witold Pilecki : héros tragique à l’histoire méconnue

Voltaire disait dans Trancrède que « le sort d’un héros est d’être persécuté ». Dans tout conflit, les héros forment leur légende sur leurs actions au service de la paix et du « bien commun ». Cependant, on trouve au travers de l’histoire des deux conflits mondiaux du XXème siècle, de grands hommes, qui ont façonné leur histoire sur leur combat, mais également sur la manière par laquelle l’ennemi a consumé l’espérance qu’ils représentaient.

Personne n’a oublié la torture supportée par Jean Moulin après sa capture en juin 1943, ni l’histoire malheureuse de Pierre Brossolette. Le polonais Witold Pilecki idéalise la pensée de Voltaire par son histoire singulière. Il est réputé pour s’être fait volontairement enfermer suite à sa capture lors d’une rafle dans une rue de Varsovie le 19 septembre 1940.

Pilecki est né le 13 mai 1901 à Olonets en Russie, où son père exerçait la profession de garde-forestier. Petit-fils d’un des leaders de l’insurrection nationale de 1863 contre la Russie, déporté par la suite en Sibérie, il eut une enfance orchestrée par la première guerre mondiale. Sa famille part en 1910 en Lituanie, où il suit des études de commerce.

Il prend part à la guerre russo-polonaise de 1919 à 1920. Il sera d’ailleurs décoré pour sa bravoure. Par la suite, il s’installe à la campagne dans le petit village de Sukurcze où il épouse Maria Ostrowska avec laquelle il a deux enfants.

Son combat en faveur de la souveraineté polonaise débute en 1939. Avec l’invasion allemande de la Pologne le 1er septembre 1939, et le début « officiel » du deuxième conflit mondial deux jours plus tard, il se lance dans la résistance polonaise. Le 9 novembre, il crée l’Armée Secrète Polonaise, une organisation de résistance en Pologne, qui forme un réseau clandestin dans la ville de Varsovie, ainsi que dans d’autres régions du pays (à Siedlce). En 1940, son organisation atteint les 8000 membres, dont la moitié ayant des armes.

En 1940, il présente à ses supérieurs de la résistance un plan permettant de pénétrer dans le camp de concentration d’Auschwitz afin de collecter des informations sur son organisation et d’organiser la résistance de l’intérieur. D’abord réticents, ils approuvent son idée et lui fournissent de faux papiers.

Le 19 septembre, Witold Pilecki est arrêté, volontairement, lors d’une rafle allemande dans les rues de Varsovie, sous l’identité de « Tomasz Serafinski ». Sa mission avait pour objectif de former une organisation militaire à l’intérieur du camp afin de soutenir psychologiquement les prisonniers, de leur fournir des compléments alimentaires, et de préparer la prochaine arrivée des alliés. Son organisation repose sur des cellules composées de cinq prisonniers inconnus les uns des autres avec un homme désigné pour superviser leurs actions. Ces cellules se trouvaient dans l’hôpital du camp.

Pilecki imaginait que les alliés allaient parachuter des armes sur le camp, afin que les prisonniers se libèrent eux-mêmes en se soulevant face aux gardes nazis. En 1943, conscient qu’aucune action de libération du camp n’était prévue par les alliés, il décide de convaincre ses supérieurs de la nécessité d’attaquer Auschwitz. Dans le même temps, commençant à avoir de soupçons, les allemands débutent la répartition de certains prisonniers dans d’autres camps, l’ampleur de l’organisation entreprise par Pilecki diminue. Il décide donc de s’évader avec deux compagnons au sein de ceux qui cuisaient le pain dans un commando situé à l’extérieur du camp, avec lesquels il reçut d’ailleurs en provenance du magasin des vêtement civils, un nécessaire de rasage, une clé de l’atelier, des somnifères, et du cyanure, afin de se protéger au cas où ils tomberaient aux mains des allemands. Les allemands redoublent d’efforts pour retrouver les membres de l’organisation et en tue plusieurs. En 1943, ils décident d’exécuter les prisonniers les plus anciens. Inquiet pour sa vie, Pilecki s’évade du camp le 26 avril 1943 après 947 jours de détention, pendant la nuit de Pâques, alors que de nombreux SS sont en congé. Il mène son évasion à partir d’une boulangerie du camp située à l’extérieur de la clôture, maîtrisant avec ses complices un garde, coupant la ligne téléphonique.

Pilecki prépare dès sa sortie un rapport détaillé sur la situation du camp et son organisation. Cependant, jugeant le nombre de membres de son organisation insuffisant, il demande de l’aide aux Alliés, qui refusent d’accorder une aide aérienne, estimant exagérées les informations des rapports Pilecki, notamment le nombre important de personnes exterminées. En clair, les informations apportées par le résistant n’ont jamais été prises au sérieux. Après plusieurs jours en tant que fugitif, il atteint Varsovie le 25 août 1943 et devient officiellement espion au sein du quartier général régional de l’Armia Krajowa. Le 11 novembre, il est promu capitaine de cavalerie et rejoint une organisation anticommuniste secrète : la Nie. Les soviétiques refusent de collaborer avec l’organisation fondée par Pilecki à Auschwitz afin de libérer le camp. Ainsi, il reste seul responsable de la coordination des activités résistantes de la ZOW et de AK.

Lors de l’insurrection de Varsovie du 1er août 1944, Witold Pilecki se porte volontaire et sert de soldat. Arrêté, il est finalement libéré par les troupes américaines le 28 avril 1945.

En 1946, la situation internationale (la montée de la tension américano-soviétique) pousse le gouvernement polonais, en exil à Londres, à donner l’ordre de cesser les actions clandestines de la résistance polonaise. Pilecki refuse d’obéir et continue de collecter des informations concernant, dorénavant, les crimes communistes dirigés contre les opposants au régime, et les résistants à l’Armée rouge, ainsi que les soldats pro-américains. En avril 1947, il récolte des preuves des atrocités commises par le régime de l’URSS en Pologne sous l’occupation de 1939-1941 (viols, pillages). Le 8 mai, Pilecki est alors arrêté par des agents du ministère de la sécurité publique et est torturé avant d’être écroué.

A la suite d’une parodie de procès ayant débuté lieu le 3 mai 1948, au cours duquel il est accusé de franchissement illégal de la frontière, d’utilisation de faux documents, d’espionnage, et de port illégal d’armes il est condamné à mort le 15 mai avec trois de ses camarades. Il dira peu avant son exécution « j’ai essayé de vivre ma vie de telle sorte qu’à l’heure de ma mort, je préfère ressentir de la joie et de la peur : vive la Pologne libre ! ».

Ainsi, après avoir survécu à l’horreur des camps de la mort, il meurt dans la souffrance, mis à terre par la folie soviétique. Cet homme libre, résistant, exaspéré par tous les régimes oppresseurs, aura mis sa vie au service la paix et de la liberté de chacun, qu’importe sa religion ou son opinion.  Il sera resté du début à la fin, un héros, à la fin tragique, dont l’histoire est méconnue.

 

Benjamin Revah

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