Assas se divise sommairement en trois catégories :
– les 10% des meilleurs en droit des affaires
– les très chanceux de l’Erasmus dont la valeur du diplôme étranger surplombe la valeur du diplôme national
– les autres, nous, ceux dont le diplôme est un pas-grand-chose.
Je ne m’adresse donc pas aux premiers qui se subdiviseront entre esclaves de cabinet et esprits malins profitant de leur liberté retrouvée ; à peine aux seconds qui n’ont plus guère à se soucier d’Assas, mais bien aux derniers, éternels déclassés de l’université française.
Il est en effet une inéluctable, regrettable vérité : la valeur de notre diplôme est plus que jamais incertaine. Si voir chaque année nos tout meilleurs fuir pour Sciences Po ou l’Essec se comprend, le sentiment de soulagement exprimé par ceux qui intègrent l’EM Lyon comme s’il s’agissait du seul salut dont ils pouvaient espérer a quelque chose d’un drame pour qui croyait en l’université.
Alors sans véritablement se résigner, il faut pourtant raison garder et aborder Assas avec flegme. Si c’est par effet de réseaux, d’échec de l’insertion professionnelle, de mauvais marketing et de valeur marchande défavorable de l’enseignement que nos papiers tamponnés sanctionnant cinq ans de torture ont grise mine, essayons d’avoir l’air moins mal en point qu’eux et laissons le malheur structurel aux études de lettres.
Il convient donc d’abord de se ménager mentalement et de cesser de céder à cette imagerie dépassée selon laquelle un étudiant ne peut être pleinement investi à Assas s’il n’a pas l’air de subir un psychodrame permanent sur fond d’anxiété maladive. Si les plus stressés d’entre nous ne parviendront pas à abandonner la peur panique au profit d’un stress légitime et constructif, ne nous rendons pas coupables d’appropriation culturelle, laissons leur ce fléau.
Il faudrait alors chaque jour entrer dans le hall comme dans un cabinet de réflexion et chaque semestre entrer en partiels comme dans un ring. Chaque venue à Assas devrait être l’occasion d’un questionnement et d’un combat, savoir ce que l’on attend et se battre pour l’obtenir est déjà suffisamment difficile. Nul besoin de s’éparpiller en atermoiements plaintifs et en contemplations de nouvelles techniques de torture qu’un professeur malicieux entreprendrait de déployer pour nous freiner dans notre évidente ascension vers le bonheur et la gloire.
Il faudrait savoir trouver du plaisir dans l’épreuve, appréhender les études comme ce jeu aux règles qui semblent faussées. Pourtant, la difficulté véritable à Assas n’est pas le niveau d’exigence mais la compréhension et l’assimilation des attentes, les règles sont moins injustes qu’elles ne vous sont inconnues et si stupides ou absurdes qu’elles puissent être, elles existent.
Il faudrait donc en somme être plus malin que le privatiste moyen – qu’il me pardonne – et ne pas croire que le diplôme est indexé au quota-horaire de votre travail hebdomadaire et à la somme des poinçons de votre ticket de pointage en BU. Voilà l’erreur que beaucoup commettent sans jamais ne vraiment s’en remettre et si vous le percevez avant la fin de votre licence, vous avez déjà réussi quelque chose. Ceux qui travaillent éperdument en bibliothèque pour finalement s’engager dans un deuxième tour en septembre ne sont pas plus bêtes que les escrocs magnifiques qui semblent survoler le cursus sans ne jamais trop s’y investir, il s’agit d’abord et avant tout de savoir ce qu’on attend de vous.
Connaître cent arrêts de plus que votre voisin vous aidera bien moins que de savoir parfaitement construire un plan et une introduction agréables. Aller en cours magistral pour ne pas être aux abonnés absents alors que vous êtes bien plus efficace en bibliothèque avec un manuel constitue rarement une approche intelligente de l’enseignement. De manière moins glorieuse, venir nerveusement vous inscrire en oral à 7h45 à l’heure où les chargés regrettent le temps béni où ils se rêvaient préparant leur thèse dans les alcôves feutrées des bibliothèques parisiennes vous assurera de leur tolérance limitée. En revanche, passer bon dernier, bénéficier du temps d’échange et de relecture au détour d’un couloir, profiter sournoisement de la lassitude et de la fatigue de votre correcteur pour jouir d’un oral moins contraignant, c’est une recette salvatrice.
Assas est un 800m sur piste où personne ne vous reprochera jamais d’avoir coupé les angles et pris des virages serrés. Le plus malin est évidemment celui qui réussit en s’épanouissant, sans ne jamais fournir d’efforts superflus, c’est-à-dire ne procurant ni plaisir ni résultats utiles. Bien imbécile celui qui, n’étant pourtant pas lui-même passionné de son cursus, méprise l’étudiant qui a pris quatre options, ne participe en TD que pour s’assurer d’une présence sur la carte mentale du chargé, choisit toujours les matières les plus simples et réalise un hold-up à chacun de ses oraux en ayant découvert le cours quelques heures plus tôt.
Au grand dam des plus vigoureux de nos détracteurs, il n’y a ni étudiant-juriste type, ni assassien type. Sur nos bancs viennent s’échouer ambitieux et paumés, bourgeois et moins bourgeois, femmes et hommes promis à ne « se fermer aucune porte » et qui découvrent la morsure des échardes et le goût salé du bois après l’avoir solidement mangée en pleine gueule, la porte, lors des partiels de deuxième année.
Il s’agit donc pour chacun de trouver la place qu’il veut avoir. Être étudiant ce n’est pas simplement aller en cours et subir, c’est un statut de liberté dont on bénéficie pendant les années les plus formatrices de notre système de pensée. C’est surtout pour cela qu’il faut dédramatiser Assas. Ceux qui veulent en voir la fin en verront la fin, ceux qui veulent partir vers d’autres cursus plus gratifiants ou moins sordides le feront aussi.
Du reste, personne ne nous rendra ces belles années, c’est à nous de les rendre mémorables, intéressantes, nécessaires, agréables. Sacrifier une journée de bibliothèque pour lire en terrasse, s’échapper dans un coin-de-France en Ouibus alors que l’on vous attend en TD d’anglais, trop boire dans une soirée pourtant sans intérêt et manquer l’amphi de 9h : rien de tout cela n’est vraiment dommageable, Stakhanov n’existe pas, l’étudiant parfait non plus.
Donnez à vos études le supplément d’âme dont elles sont naturellement dépourvues, cessez d’être une silhouette absconse transpirant la souffrance et l’abandon. Assas pourrait bien être l’enfer sur terre que le bonheur n’aurait pas disparu du reste du monde, ne faites pas don de l’intégralité de votre être à cette faculté, soyez malins, comprenez ce qu’elle attend de vous, rusez, coupez les angles, soufflez, fuyez les efforts superflus, souriez, et cessez de vouloir ressembler à l’image que vous vous faites d’un bon étudiant, personne ne vous en rendra grâce.
Le vieux con