Je ne connais rien de pire que de sortir le samedi soir. Les bars dégueulent de monde, c’est vulgaire, pesant, visqueux. On croise les pintades gloussantes peinturlurées comme un Derain, les jeunes CSP+ en quête d’oubli d’une semaine avilissante, les habituels charognards rompus à la pratique de la recherche de viande saoule…
Pourtant, la vie étudiante permet certaines largesses quant au temps de sommeil nécessaire pour aborder les autres jours de la semaine. Ainsi, parmi les ombres déambulant dans les rues de la capitale existe un groupe de parisiens avertis : la population du dimanche soir. Ils sont de ceux qui savent, de ces êtres touchés par la sagesse urbaine. Voilà des années que je tente d’en faire partie.
Hier encore, je me suis rendu dans une salle de concert flottante d’un arrondissement vaguement gentrifié au sud de Paris. Au rythme d’un bus par demi-heure, peu de chance d’être à l’heure et le retard de politesse est toujours respecté. Dans cette salle peuplée de trentenaires – au bas mot – et d’habitués, j’ai sagement attendu que les artistes en charge de la première partie daignent finir de consommer des substances en backstage, l’affichette au-dessus du bar clamait pourtant « No drugs ».
Au rythme du rock délicieusement boys band post-Beatles (tantinet psyché Madchester) et des pintes à 5€, j’ai progressivement libéré mon corps vieillissant de l’usure d’une semaine désastreuse d’étudiant broyé par le poids de ses minables tracas. À l’arrivée de l’artiste principal, un californien BCBG musicalement irréprochable et futur pape du néo rythm-and-blues, j’ai parfaitement assumé mon statut de connard du dimanche soir. Je suis entré dans le groove immanquable du beau Nick Waterhouse à coup de chœurs, de solos diablement maîtrisés, d’anecdotes racontées au public, d’explosions syncopées et ce à l’heure où la France qui travaille s’en va dormir. Quel plaisir.
C’est dans cette salle de 400 personnes complices et intrigantes que j’ai réalisé comme chaque dimanche que j’étais un privilégié. Débarrassé de l’idée de réveil matinal, des habituels gâcheurs de soirée, au milieu d’une foule modeste hurlant des mercis à la saxophoniste, chantant des refrains encore ignorés au moment de la première bière. J’étais membre d’un tout.
C’est bien là la force du dimanche soir : cette possibilité unique de construire une dynamique wholesome et bon enfant de gens fuyant une nouvelle semaine de contraintes. C’est à croire qu’il y flotte une sorte de tolérance infinie. Loin des défilés du samedi, toutes vos tenues semblent acceptables à la veille d’un lundi et le bar du dimanche soir acceptera sans peine le pull le plus décousu, effiloché et laid de votre collection.
Se déhancher en meute, comme une seule personne, dans une cale de péniche peut sembler déroutant au public habitué des foules entassées dans des rabs surcotés de la rue Princesse. Franchissez le pas et faites l’expérience, venez dans ces concerts où des artistes qui feront la musique de demain retrouvent leur public de mélomanes pas snobs, vibrez comme j’ai vibré hier aux premières notes de Song for Winners, mélodie bien nommée pour un dimanche libéré de toute contrainte.
Le vieux con