Kaaris, ce poète

Le rap, cette musique mal comprise.

Perçu comme étant un amoncellement immonde d’insultes maternelles, de clashs stupides et d’égos surdimensionnés, le rap renvoie une bien mauvaise image.

Et pourtant, parmi la horde de rappeurs vulgaires et insignifiants, des poètes se cachent ; Kaaris est l’un d’entre eux.

Pourquoi peut-on considérer l’auteur de la phrase :

« Cette gow là c’est p’tet une fille bien. Mais on préfère les tchoins, tchoins, tchoins »

comme étant un poète me direz-vous ? Parce que Kaaris est un génie.

Kaaris, de son vrai nom Okou Gnakouri, est un lyriciste français originaire de Côte d’Ivoire. Aujourd’hui considéré comme l’un des fameux « boss du Rap français », il a également la réputation d’être à la fois égocentrique et de surcroît, vulgaire.

Pourtant, comme le montre son sourire de bichon qui ferait craquer plus d’une « tchoin » se trouvant dans les parages, cette image n’est rien d’autre qu’une façade qui cache un poète meurtri et plein de bonté.

Je pose alors la question : qui a réellement écouté Kaaris avant de le mettre dans la catégorie du rap faussement hardcore ?

Peu de monde, sans nul doute.

Pour vous convaincre du bienfondé de mon opinion, je commencerai par analyser rapidement le premier couplet de Se-Vrak, single sorti en 2015, avant de m’intéresser plus généralement au génie global de l’artiste.

L’analyse se base simplement sur une étude des paroles et ce, par souci de clarté. Il reste néanmoins nécessaire de préciser qu’elle est, au demeurant, plus approfondie que n’aura su l’être la retranscription de Rap Genius — Un peu de respect s’il vous plait.

Les deux premiers vers servent d’introduction à la musique et imposent le respect.

« Le bouchon de liège est dans ton anus

et je pousse encore avec mon phallus » (sic)

Il est intéressant et nécessaire de passer un peu de temps sur ces vers. De prime abord, on pourrait imaginer qu’il s’agit uniquement d’une insulte gratuite pour commencer le single ; ce serait mal évaluer le potentiel de l’artiste, puisque cette introduction se base en réalité à la fois sur son passé et sur une référence à la culture française, le tout porté par une construction logique et précise.

Il est ainsi important de mentionner que Bouchon de liège est le premier single à succès de Kaaris et que, de fait, il s’agit là d’une métaphore. Si puissant, le single se trouvait déjà dans l’orifice anal des « rageux ». Il poursuit et prévient que ce qui arrive va aller encore plus loin ; Se-Vrak se retrouve assimilé à un phallus qui va accompagner en longueur les prouesses techniques de Kaaris.

Et ce n’est pas tout, puisqu’il associe aussi sa puissance avec la culture française. Qui ne se souvient pas de la publicité pour les Choco-Suisse de Nestlé et le fameux « tu pousses le bouchon un peu trop loin Maurice ? ».

Enfin, c’est la rime interne en ou (« Bouchon », « Pousse ») ainsi que la rime riche (« ton anus », « mon phallus ») qui vient prouver que Kaaris sait manier la langue française.

Il s’agit donc d’une introduction montrant la puissance, le respect de la culture et la maîtrise du langage par Kaaris. Le tout va bien évidemment se retrouver approfondi dans la suite du morceau.

Il donne le ton et continue sur la même lancée avec :

« Depuis 43èmeBIMA aucune avarie »

Avec la 43èmeBIMA, Kaaris fait une référence gigogne et associe deux images qui se lient dans ce contexte. 43èmeBIMA fait d’abord référence à la première mixtape de Kaaris. Il souligne ainsi que depuis cette époque, aucune autre « légende » n’a pu venir le détrôner.

Plus encore, la 43èmeBIMA c’est le 43èmebataillon d’infanterie de la marine française. Cette brigade est particulière pour Kaaris puisqu’il s’agit de la celle qui s’occupait de maintenir la paix aux alentours d’Abidjan, sa ville natale. En outre, elle a aidé Kaaris à rejoindre la France alors que la crise Ivoirienne était sur le point de débuter en 2002.

Cette punch line est un hommage à ces combattants qui aident au maintien de la paix à Abidjan. Plus généralement, c’est finalement un hommage aux troupes françaises qui œuvrent pour la paix dans le monde.

Que les membres du Master 2 sécurité défense fassent donc un séminaire sur l’apport de Kaaris à la reconnaissance de nos troupes de maintien de la paix, ils y apprendraient enfin quelque chose d’utile.

Après cette occurence, il aborde de nouveau ce sujet avec :

« J’suis connu dans toute l’Afrique comme Lpupa Fally

Killuminati comme Tupac à Cali »

Conscient que de nombreux jeunes français ignorent la musique africaine et ce, particulièrement dans les locaux d’Assas, Kaaris nous permet de découvrir Lpupa Fally, grand artiste ivoirien. Kaaris ne se contente pas de flatter son égo mais élève toujours d’autres personnes avec lui. C’est une marque de respect pour l’Afrique et la culture française que de parler de cet artiste africain.

De surcroît, il se dit killuminati (anti-illuminati) afin de répondre aux rumeurs sur son appartenance présumée aux illuminatis (probablement dû à son génie trop grand pour provenir d’un être normal). Il insiste en outre lourdement sur son œuvre pour la paix en se définissant contre les illuminatis, sans oublier bien sûr de citer ses influences comme Tupac agissant pour la paix des gangs en Californie.

Concentrons-nous à présent sur le refrain et les vers qui le précèdent. Ayant suscité de nombreuses controverses, il est temps d’en faire ressortir les propos implicites :

En tant que pré-refrain, il nous offre :

« Rebeu, Noich, Babtous et ggas-ni, j’leur nique la kechné pour la mixité » (sic)

Il est aisé d’être choqué par la vulgarité apparente et de se cantonner à cette première – mauvaise – impression pour décrédibiliser ce vers. Il s’agit pourtant de la clé de compréhension du refrain. On peut légitimement se demander : « pourquoi une telle transition ? » Mon analyse personnelle (n’engageant que moi, je n’ai pu avoir de confirmation de l’artiste) est la suivante : ne ferait-il pas ici qu’une explicitation des propos tenus depuis le début du morceau ? C’est-à-dire en somme, son souhait de respect et de mixité dans le monde : il est prêt à faire l’amour à n’importe quelle fille et ce, peu importe son origine. Il est antiraciste et ne se trompe pas à faire l’apologie d’une différence des populations. Il désire voir le monde uni par le sexe, et quel parfait moyen d’unification !

Le pré-refrain amène le refrain :

« Et je mélange, je mélange, je mélange, je mélange, je mélange »

Mais que mélange-t-il donc ? La réponse : les populations et les origines. Nous sommes tous égaux et devrions partager nos différences.

On pourrait débattre des avantages et inconvénients du mélange des populations, ce grand débat si polémique ! Mais Kaaris n’a pas le temps de niaiser. Avant même que nous ayons pu réfléchir à la question, il mène la bataille sur un autre front :

« Salope ! on a assez travaillé pendant l’esclavage. » (sic)

Ici encore, une maladresse d’interprétation est chose facile; il s’agit pourtant d’une réponse au comportement d’Elise Lucet, journaliste de France 2. Lors d’un entretien avec Jean-Pierre Guerlain où ce dernier, sans une once de racisme, expliquait que : « pour réaliser [un parfum], je me suis mis à travailler comme un nègre [rires d’Elise Lucet], je ne sais pas si les nègres ont toujours réellement travaillé mais enfin… ». C’est donc une réponse, assez crue il faut le dire, que Kaaris réalise face à ce comportement jugé indécent ; mais pas une insulte injustifiée.

Kaaris a une manière d’écrire très complexe qui nécessite plusieurs niveaux de lecture mais il n’utilise jamais inutilement la vulgarité. Aller plus loin dans l’analyse serait infructueux puisqu’il s’agissait seulement de comprendre les procédés d’écriture du poète et ainsi de mettre au jour la sensibilité profonde de ses vers.

 

Armés de vos derniers arguments, vous vous rabattez surement sur l’idée simple et basique que si la majorité de la population trouve l’artiste mauvais, c’est qu’il doit l’être.

Et bien, pour commencer « c’est pas parce que tout le monde a tort qu’ils ont raison » disait Coluche. De surcroit, il semble assez clair que sa réputation est parfaitement maitrisée. Si on l’a mal compris, c’est peut-être qu’il l’a voulu.

En effet, il utilise l’univers et l’atmosphère de la cité pour faire sa réputation, mais pas seulement. Il part du constat des cités pour construire son personnage; il en montre les problèmes de l’intérieur et il se fait entendre comme partie prenante de l’univers qu’il dépeint, comme un homme de l’intérieur. Sa « fan base de la cité » l’écoute, s’identifie à lui et suit ses conseils. C’est ici l’important, Kaaris fait passer de nombreux messages sous couvert de ses insultes de façades. La fameuse clause Kebab en est un bon exemple. Celui de l’impossibilité pour bien des citoyens de se procurer caviar et autres denrées que nous, gens d’Assas, pouvons considérer comme commune. En incluant comme gain d’un combat un simple kebab, il y a une volonté d’afficher son importance symbolique bien plus que monétaire.

Réfléchir est donc nécessaire pour comprendre, encore faut-il en faire la démarche. Bimbamboum, il est plus naturel de se rabattre vers Orelsan et sa construction « tellement plus complexe » et tellement moins commerciale, n’est-ce pas ?

Toujours pas convaincus ? J’ai encore quelques arguments en réserve.

Premièrement, il est papa et adore sa fille (cf son p’tit compte insta). Pourquoi corrompre la jeunesse quand son enfant en fait partie ?

De plus, on se focalise sur les insultes mais quid des conseils pourtant explicites ?

Prenons l’introduction du clip de Tchoin, dans lequel le personnage principal se fâche avec sa copine. La raison ? Elle veut manger des pâtes mais lui désire manger du concombre car il en a assez de ne pas manger de légumes. Il nous incite à manger des légumes et pourtant il serait un fléau pour la jeunesse ?

Ou encore, dans Se-Vrak, pour des buts évidents d’économie d’énergie, il utilise des néons clignotants plutôt que constants. Il incite au développement durable et on le considère comme une racaille ?

Enfin, dans Tchoin, encore une foisil explique qu’il « allume son joint comme si il allumait la flamme olympique ». Avec une référence à Pierre de Coubertin qui voulait répandre la paix dans le monde par le sport, y a-t-il besoin d’y voir une autre connotation que celle la plus évidente ?

Kaaris est capable du pire comme du meilleur, mais trop souvent nous sommes obnubilés par le pire. Comme l’a exposé un grand poète, finalement reconnu « Je suis capable du meilleur comme du pire, mais c’est dans le pire que je suis le meilleur. »(Bizon, citation reprise de Coluche).

Remi Ravel

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