Entretien avec le professeur Martin Collet

Monsieur le professeur, merci d’avoir accepté cette rencontre. Pouvez-vous nous parler de votre parcours universitaire ?

 

J’ai commencé mes études de droit à Paris II, après un bac scientifique. A l’issue de ma cinquième année, j’ai fait une incursion par Sciences Po puis je suis revenu à Paris II afin d’y rédiger ma thèse (avec une interruption d’un an pour cause de service militaire). Après la soutenance de celle-ci, j’ai été recruté, toujours à Paris II, comme maître de conférences. Un an plus tard, en 2004, j’ai obtenu l’agrégation de droit public et j’ai été nommé professeur à Orléans où je suis resté quatre ans, avant de rejoindre Sceaux (Paris Sud) puis, enfin, de revenir en janvier 2012 à Paris II en tant que professeur.

 

Exclusivement en droit fiscal ?

 

Non, pas immédiatement. Ma thèse porte sur le droit administratif. Je n’ai commencé à m’investir sur le terrain de la fiscalité que lorsque j’étais chargé de TD, durant ma troisième année de thèse. À cet égard, j’ai suivi le même parcours que beaucoup de professeurs de droit fiscal qui, en réalité, viennent d’autres horizons (c’était le cas du regretté Jean-Jacques Bienvenu, qui m’a précédé comme professeur de droit fiscal en Licence 3 à Assas et qui était avant tout administrativiste, ou encore de Maurice Cozian ou de Daniel Gutmann, qui ont quant à eux reçu une formation de civiliste…). À vrai dire, il y a assez peu de thèses de droit fiscal soutenues chaque année, et donc encore moins d’universitaires ayant soutenu une thèse portant sur cette matière. Je n’exclus pas que des raisons financières l’expliquent en partie : les étudiants qui sortent des M2 de droit fiscal de notre université se voient bien souvent proposer des salaires deux fois supérieurs à la rémunération que l’État accorde aux « doctorants contractuels ». Cela peut évidemment contrarier des vocations de chercheur…

Quel genre d’étudiant étiez-vous ?

 

Pas très assidu en amphithéâtre mais très impliqué en TD. Il faut dire que, à l’époque, le système d’examen était différent : dès lors que vous validiez les matières à TD, les oraux relevaient un peu de la formalité. Cela laissait plus de temps pour faire d’autres choses à côté : travailler à temps partiel, s’investir dans la vie associative, etc.

La situation a changé aujourd’hui : les étudiants subissent dès les premières années une pression au résultat plus forte qu’à mon époque – même si je ne crois pas que les enseignants ou les employeurs en soient la cause. Les employeurs sont très heureux de recruter de très bons étudiants mais le sont aussi de d’embaucher des jeunes gens qui ne sont pas que cela, qui ont eu une vie à côté.

Avez-vous d’autres activités ?

 

En tant qu’universitaire, je suis « enseignant-chercheur ». Je trouve que cette formule fait vraiment sens. L’enseignement ne prend pas, en soi, beaucoup de temps. C’est davantage l’organisation de colloques, la rédaction d’articles ou de livres, les tâches administratives qui en prennent. Mais cela forme un tout : la recherche et la pratique nourrissent énormément l’enseignement et réciproquement. En effet, constater que mes étudiants comprennent mal telle ou telle idée que je tente de leur expliquer m’aide à être plus clair et plus pertinent dans la rédaction d’articles dits « scientifiques ». Symétriquement, j’ai le sentiment d’être bien meilleur pédagogue, en amphi, lorsque j’évoque des questions que j’ai eu l’occasion d’approfondir comme chercheur ou comme praticien.

En dehors de l’université, comme un certain nombre de mes collègues, j’exerce une activité libérale en tant que consultant, principalement auprès de cabinets d’avocats. Cette manière d’être au contact des praticiens me semble importante en ce qu’elle me permet de nourrir mes enseignements comme, plus généralement, d’être plus pertinent dans l’accompagnement des étudiants comme dans les conseils d’orientation professionnelle que je peux leur délivrer.

Je suis également investi au sein du Club des juristes, un think-tank créé par Nicolas Molfessis, réunissant universitaires et praticiens de tous les domaines du droit. De même, dans le plus petit monde du droit fiscal, je m’occupe, aux côtés de mon collègue Gauthier Blanluet qui le dirige, du CEFEP (Centre d’étude sur la fiscalité des entreprises de Paris) qui, lui aussi, réunit régulièrement universitaires et praticiens.

Qu’est-ce qui est important pour vous dans l’enseignement ?

Comme, sans doute, la grande majorité de mes collègue, je pense que le plus important tient à l’enseignement de la méthodologie : derrière les exercices apparemment très scolaires que sont le commentaire d’arrêt ou la dissertation, se dessine en réalité l’essentiel de ce qui fait la pensée juridique, la « manière de faire » des juristes. D’où l’importance des TD. Au-delà, je pense qu’un bon juriste est celui qui sait affirmer sa personnalité et qui dispose d’un solide esprit critique. C’est la raison pour laquelle, dans mes enseignements, je m’efforce de d’adopter une telle démarche – avec peut-être une certaine outrance, parfois ! Pour tout vous avouer, il y a une part d’artifice derrière cette démarche (j’ai cru constater que les étudiants retenaient mieux le contenu des décisions dont je disais du mal que celles que je me contentais de présenter de manière purement objective…), mais aussi une conviction profonde : celle selon laquelle un bon juriste est celui qui s’efforce de porter son regard là où les autres ne s’aventurent pas, qui se pose des questions qu’on oublie généralement de se poser, qui n’hésite pas à remettre en cause les évidences… C’est un peu la démarche que je tente d’adopter dans le cadre de mes enseignements.

Ce qui interpelle souvent vos étudiants sont aussi vos déambulations dans l’amphithéâtre, les expliquez-vous ?

 

Ce n’est pas véritablement théorisé de ma part. Quand j’étais à votre place, en première année, j’avais été assez impressionné par le professeur François Terré qui sautillait de table en table avec son micro. Ce qui est certain, c’est que cela participe de la théâtralité du cours magistral et il me semble que cela rend les étudiants plus attentifs d’avoir le sentiment que le professeur s’investit, y compris physiquement.

 

Regrettez-vous les années durant lesquelles vous étiez chargé de TD ?

 

Le métier de chargé de TD est très différent du métier de professeur. D’un point de vue narcissique, il est plus gratifiant de faire cours devant 1000 personnes que devant 30 ! Mais surtout, et plus sérieusement, j’ai le sentiment de communiquer davantage avec un amphi de 1000 personnes qu’avec une salle de 30. Paradoxalement, l’anonymat que les étudiants ressentent en amphithéâtre fait qu’ils se sentent plus autorisés à avoir des réactions – négatives ou positives. J’ai l’impression qu’il existe ainsi une interaction plus forte : dès que l’amphi est perdu, vous le sentez immédiatement. Et vice versa quand ça prend. Cette forme d’interaction, je la ressentais beaucoup moins en TD où les étudiants restent bien élevés et ne manifestent guère leurs émotions. Pour cette raison, je ne regrette pas du tout ces années en tant que chargé de TD.  Et, en même temps, ce qu’il y a de formidable en TD, c’est de pouvoir travailler sur la méthode qui, comme je vous le disais, constitue le cœur de la formation du juriste. C’est en cela que le rôle de chargé de TD est extrêmement important et c’est pourquoi il est très valorisant d’être chargé de TD. En tant que prof d’amphi, je me vois d’avantage comme une sorte de représentant de commerce, qui cherche à « vendre » sa matière ou, du moins, à susciter l’intérêt.

Qu’est-ce qu’un bon chargé de TD selon vous ?

 

Je crois que le plus important, pour un chargé de TD, c’est de ne surtout pas faire le TD à la place des étudiants, mais d’être davantage un animateur de séance. Il y a des éléments de méthodologie qui doivent être apportés, c’est évident. Néanmoins, il est certain que ces éléments ne seront pas intégrés par ceux à qui il sont destinés s’il n’y a pas, de leur côté, un travail important, et aussi pas mal de tâtonnement. Il ne s’agit pas d’apprendre des fiches par cœur avant le TD mais bien de se plonger dans des documents pour pouvoir ensuite en extraire un certain nombre d’éléments grâce à la méthode fournie. Je sais que la tentation de l’immense majorité des chargés de TD – et ça a pu être la mienne quand je l’étais – est de faire les fiches à la place les étudiants qui sont toujours fous de joie qu’on leur mâche le travail. Et je comprends aussi pourquoi les chargés de TD peuvent être tentés de le faire, car ils ont le sentiment d’être utiles. Mais je pense que c’est une erreur. Au bout du compte, les fiches ne sont bonnes que pour celui qui les a faites et c’est une énorme illusion de croire que le pré-mâchage du chargé de TD sera utile par la suite à ceux qui y ont goûté.

 

Bien que je ne fasse plus systématiquement le tour des TD, je reste extrêmement attentif à la manière dont les étudiants ressentent le déroulement des séances. C’est pour cela que je tiens absolument à ce que les fiches d’évaluation soient remplies. En effet, il y a un très gros travail effectué par les services de l’université pour exploiter ces documents et fournir un retour substantiel aux enseignants. C’est très utile parce que les étudiants n’osent pas toujours venir voir les professeurs pour leur donner leur sentiment sur le cours ou le TD, c’est comme ça en France. Ce qui fait qu’on a finalement peu de retour de la part des étudiants, en bien ou en mal. Cet outil, l’évaluation, fonctionne très bien à Paris II : on y est très attentif. Je crois qu’une des grandes caractéristiques de notre université, c’est qu’on s’y soucie vraiment des étudiants, y compris ceux de licence, ce qui n’est pas le cas partout.  À Paris II, c’est une tradition qui se perpétue car l’ensemble des professeurs adhère pour l’essentiel à un certain nombre de valeurs académiques, notamment ce souci de donner aux étudiants, dès la première année, le goût des études en droit, et de se mettre au service de tous, et pas seulement d’une petite élite d’étudiants en Master ou en thèse.

Pouvez-vous nous présenter les masters que vous dirigez ?

Il s’agit de deux masters codirigés avec le professeur Gauthier Blanluet : un master « Droit fiscal » et un master « Fiscalité internationale », en partenariat avec HEC. Ce sont deux masters « frères » et ce que je dis vaut pour les deux.

Leur différence majeure tient au fait que l’un possède un champ plus étroit que l’autre mais, au-delà, notre objectif est dans les deux cas de former des étudiants qui puissent être immédiatement opérationnels sur le marché du travail, dès la sortie du master 2, en tant qu’avocat ou juriste d’entreprise, pour la majorité. C’est pour cela que ce sont des masters offerts en apprentissage. L’intégralité des promotions bénéficie de l’apprentissage, sauf les étudiants venant d’HEC qui forment une partie de l’effectif du master de fiscalité internationale et les rares étudiants qui optent pour la voie « recherche » du M2 Droit fiscal. L’idée, c’est d’être immergé dans la pratique tout en recevant des enseignements théoriques. Par ailleurs, même si ce n’est pas l’objectif principal, il y a chaque année un ou deux étudiants qui se lancent dans une thèse à la suite de ces masters, ce qui est une très bonne chose également.

Quel profil d’étudiant est attendu ?

Le niveau de sélectivité des deux masters est élevé, beaucoup plus qu’il ne l’était il y a une dizaine d’années – le droit fiscal attirant davantage aujourd’hui qu’à l’époque. Toutefois, le fait de ne pas avoir eu la meilleure note de l’année en droit fiscal en licence 3 ou en M1 est tout à fait indifférent : nous cherchons d’abord de bons étudiants. En effet, nous sommes heureux de recruter de solides généralistes qui ont, de plus, suivi un certain nombre d’enseignements de droit fiscal et qui maitrisent suffisamment le vocabulaire fiscal pour être opérationnels dès le début de l’année de M2, puisque les étudiants sont envoyés immédiatement en apprentissage.

Ensuite, il est très important que les étudiants maitrisent l’anglais, ou en tout cas qu’ils n’aient pas d’allergie à l’idée de s’y mettre très sérieusement. C’est devenu la langue de la profession.

Nous accordons enfin, comme l’ensemble de mes collègues, une grande importance à votre profil en tant que tel, tout ce qui révèle une personnalité riche car c’est ce type de personnalité qui pourra plaire aux employeurs.

Propos recueillis par Stan de Reboul et Madeleine Anglès d’Auriac

Nous remercions Monsieur Collet pour cet entretien et le temps qu’il a bien voulu nous accorder.

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