Hypothèse : le sommeil implique une temporalité, un espace-temps de vide, de chaos et d’ordre en même temps. Il est un trou noir de mémoire : aucun souvenir de l’action de dormir ne subsiste, mais parallèlement, tant d’imagination créatrice du rêve jaillit.
Je rêve de sommeil. C’est absurde. Je me plains d’être fatigué à longueur de temps, pourtant je dors quelques heures par nuit.
Ne vous inquiétez pas, cette nuit je rattrape mon sommeil. Cette nuit, pas d’abus, pas d’égarement réel. Cette nuit je m’allonge quelque part sobre, et je me réveille au même endroit, toujours aussi sobre. Cette nuit, je refais mon semestre de sommeil, cela sera dur, je vais devoir bien bosser pour réussir. Demain, je serai le plus parfaitement en forme, plus en forme que la forme elle-même, sans omettre le fond. Evidemment le fond, comment l’oublier ? Exténué par toutes ces pensées, ces devoirs, ces échéances, ces choses à remettre au lendemain, il faut faire le ménage. Mais je nage dans le brouillard, il faut que je dorme pour y voir clair. Ce soir, je ne regarde pas le clair de lune, je ne serai pas conscient. Je serai dans les bras de Morphée. Je serai loin de mon corps perclus de cernes.
Vous l’avez compris, le sommeil me hante. Je ne le comprends pas, alors qu’il est si évident. En effet, il suffit de dormir pour courir après lui afin de le rattraper. Et quand on arrive enfin à l’agripper, on n’en a plus besoin : on écarte les doigts et il nous file entre les mains. C’est ainsi course permanente, interminable et désespérante.
Parmi l’immensité des images qui composent votre imaginaire endormi, le sommeil tire les ficelles de ces marionnettes, en mélangeant personnages, costumes et intrigues sans lien. Son pouvoir scénaristique est sous-estimé car incompris, mais il est peut-être « notre seul espoir » pour sauver Hollywood (ndlr : bref ce n’est pas le sujet). Il fatigue parfois autant qu’il restaure. Ne l’oubliez pas, être intermittent du spectacle n’est pas de tout repos.
Suite à cela, afin de ne pas rencontrer les affres de son subconscient, on essaie de le tromper. Pas avec la première fille venue, loin de là, il n’y a pas besoin d’empirer la situation. Par contre, la première sieste venue devient si attirante, sexy. L’envie de ce canapé est décidément la plus grande luxure de l’histoire de l’humanité. Ensuite, on se dit : pourquoi ne pas passer directement à sa sœur jumelle, le lit ? Résiste ! On se souviens qu’on poursuit déjà le temps, et que, quitte à perdre, autant ne pas subir Waterloo deux fois.
On a beau avoir, tout du moins au début, une entente cordiale avec le sommeil, elle se détériore forcément dans la durée et de manière régulière. Certes, il est valeureux de se dire « à partir de ce soir, je gère mon sommeil d’une main de maître ». Toutefois, le sommeil n’a pas de maître, et le moindre grain de sable enraye sa machine. Cette poussière de roche peut prendre la forme d’un évènement quelconque paraissant un tant soit peu intéressant, peu importe, du moment qu’il vous distraira.
Cependant, le sommeil est un être rationnel : il est comme la faucheuse, il viendra toujours récupérer son dû à la fin du jeu. Un jeu où vous êtes perdant à tous les coups, vous n’en maîtrisez ni les règles ni les cartes. Vous aurez beau lui expliquer avec logique et persuasion les circonstances qui vous ont amené à repousser votre repos, il ne vous écoutera pas. Et pour peu que vous l’agaciez, il deviendra éternel.
Votre seul échappatoire est de devenir maître de votre vie ; mais là, on rentre dans un rêve.
Baptiste Lavazais