Depuis la fin des années 50, les villes s’étendent. Paris devient le Grand Paris et menace de faire sauter le périphérique. Les distances de trajet augmentent. En 1960, un travailleur parcourait trois kilomètres par jour en moyenne. Quinze ans plus tard, il en parcourait vingt. Aujourd’hui, seul un actif sur quatre travaille dans la commune où il habite. Les trajets augmentent inexorablement et, à une époque où la vie de quartier a disparu au profit des délocalisations, les trajets à pied deviennent de plus en plus utopiques
Le monde a cependant rétréci, les distances sont devenues moins longues, au XIXème siècle, l’arrivée du train bouleverse les cartes nationales. Après la Seconde Guerre mondiale, les avions commencent à transporter les passagers à l’autre bout du monde. En 1969, alors que l’homme marche sur la Lune, le Concorde relie Paris à New York en trois heures et demie. Bientôt, des avions sortiront de l’atmosphère pour gagner du temps de transport.
Les transports sont donc devenus partie intégrante de la société occidentale. Comme tout élément de la société, les transports ont vu les us et coutumes de cette même société dégouliner sur eux. Autrement dit, ils ont donc été faits à l’image de cette dernière. C’est donc pour cette raison que les transports ont d’abord été pensés pour une élite intellectuelle et financière avant de se tourner vers les classes moyennes. Ce fut le cas pour le train, pour l’avion mais également pour la voiture.
Cependant, l’impact de la société sur les transports ne s’arrête pas là. En effet, on a vu apparaître la ségrégation des bus aux États Unis dans une Amérique prônant le « séparé mais égaux ». On a vu apparaître ces avions dans lesquelles on tend un rideau pour séparer, ne serait-ce que abstraitement la classe dirigeante de la classe moyenne, car quoi qu’en disent les publicités oranges promouvant des destinations de rêves à prix cassés, la classe inférieure ne fut pas autorisée, et ne l’est toujours pas, à voyager ou découvrir le monde. On a vu apparaître les salons lounge aux noms plus anglicisés les uns que les autres et, dans le même registre de séparation, on a également vu apparaître les premières et secondes classes, que ce soit dans les trains, les avions ou… le métro. Les transports “en commun” sont donc devenus des transports “en commun avec ma classe sociale”.
De plus, qui dit ségrégation des classes dit lutte des classes. Alors que le système de classes fut aboli depuis de nombreuses années dans la majorité des capitales européennes, des mécontentements commençaient à se faire entendre à propos du métro parisien : pourquoi le métro, symbole de l’unité parisienne subirait-il un système de classes qui divise le peuple? En effet, on se souvient tous de la fameuse mélodie du poinçonneur des lilas : « des trous d’première classe, des trous d’seconde classe ». Cuir confortable pour les uns, lattes de bois pour les autres, le métropolitain aussi subissait sa propre ségrégation par classes. Le mercredi 31 juillet 1991, après 90 ans de séparation entre les salariés parisiens et les fiers et orgueilleux lecteurs du Figaro, la première classe rendait son dernier souffle. Ce jour-là, l’air de rien, Paris vivait une deuxième nuit du 4 août : une nouvelle fois, les privilèges venaient d’être abolis en France.
Mais, de même que le 4 août posa de nombreux problèmes à la société française, cette « lutte finale » présenta de nombreux dysfonctionnements: que faire de toutes ces personnes âgées, de ces personnes handicapées, de ces femmes enceintes qui utilisaient la première plus par nécessité que par ségrégation sociale? Alors, on fit ce qui semblait inimaginable : on fit appel au civisme ! La RATP lança une campagne de civilisation des utilisateurs pour leur apprendre à utiliser le métro avec respect et fraternité : « Levez-vous et laissez votre place », « Faites attention autour de vous ». En bref, on compensa la fracture sociale par un apprentissage de la vie en société, par un respect de l’autre. En bref, on retrouva l’égalité et la fraternité.
Alors certes, cette fraternité n’est pas forcément visible dès l’entrée dans les longs couloirs de carreaux blancs. Cependant, ce fut un grand pas pour l’égalité. Pour la première fois, tous les parisiens étaient logés à la même enseigne : un métro odorant et encombré, mais égalitaire.
Nikolas Keckhut