La Rubrique Sexo #2 : Les fantasmes (partie 1)

Un jour, un professeur de physique-chimie à l’humour si sincère qu’il ne pouvait qu’être dépressif, a lancé, à travers notre classe de lycéens supra-hormonés, une phrase, à la frontière entre le génie et la crise de cinquantenaire.

« Les enfants, sachez que dans la vie il n’y a que 3 choses qui gouvernent le monde : le sexe, l’argent et le temps. »

Ok boomer.

Les spasmes vulgaires de nos maxillaires ont fini par laisser place au silence, puis au tintamarre cinglant du glas de la fin des cours. Cette phrase n’a pas eu d’écho immédiat, mais sans bruit, elle est restée en votre serviteur, parmi ces innombrables moments anodins qui restent intacts en la mémoire et demeurent, sans trop savoir pourquoi, insensibles au passage du temps.

Ainsi, la phrase de ce professeur fut rangée dans un petit tiroir à côté d’un autre souvenir, celui de cette collégienne qui explique à ses camarades que ranger ses pouces dans ses poches, c’est moche.

Aujourd’hui, quand je mets mes mains dans mes poches, je veille scrupuleusement à ne pas y rentrer juste les pouces, et je comprends désormais que la plupart des relations humaines ont une essence sexuelle.

C’est le postulat de cette rubrique : le sexe est un vestige presque intact de l’évolution, une énergie instinctive qui, malgré les innombrables conventions sociales qui fondent notre société, demeure inchangée. Pour rendre hommage à ce professeur, nous pourrions dire que le sexe est semblable à l’atome d’uranium au cœur d’une centrale. Il sera toujours possible de complexifier les mécanismes de protection, en revanche  la matière exploitée restera toujours la même.

Dans les contacts humains, les affinités sont en partie guidées par des compatibilités : phéromones, hormones et autres joyeuses molécules, des attirances morphologiques. Il est assez illusoire de penser que fort d’une « conscience » poussée, l’être humain échappe à des enjeux essentiels du vivant, à savoir la reproduction, l’expansion d’une espèce. Car presque instinctivement, l’enveloppe charnelle verra ou non un potentiel de reproduction chez l’autre, généralement intervient le sexe à ce stade.

Ceci étant dit, et sans réduire les mécanismes d’attirance à la biologie, un des angles les plus évidents pour étudier cette matière première serait sans doute le fantasme, les « kinks », etc. Dans une approche de journaliste de terrain, j’ai tenté, auprès de tables innocentes ayant déjà essuyées pintes et fracas, de recueillir des confessions pour comprendre. Face au succès mitigé de cette approche qui n’a récolté que gêne, la démarche s’est professionnalisée à travers un sondage préservant l’anonymat.

Avant d’en étudier la teneur il est en revanche important de définir le « kink » qui sera un peu enrichi par rapport à sa définition argotique usuelle.

Si nous devions distinguer kink et fantasme : le fantasme est finalement l’illustration, l’expression par un acte précis d’un kink plus fondamental. Le kink est à la source de l’excitation, du plaisir de la tension. Il est cette énergie fondamentale qui pourra être déclinée en plusieurs fantasmes plus ou moins précis. Prenons un exemple : si on prend un fantasme assez courant qui est celui d’être attaché légèrement, ce n’est pas tellement de la corde en elle-même que vient l’excitation, mais de la perte de contrôle partielle de son corps, ou alors de la douleur légère que produit l’étreinte. C’est en essayant de remonter ce fil des fantasmes qu’on perçoit le kink et dans une certaine mesure, ces perversions universelles de notre espèce.

Ces perversions sont-elles en chacun de nous mal comprises et exaltées à des degrés différents ? Y a-t-il autant de kinks que de sexualités ? Sommes-nous victimes de notre sexualité ?

En somme, mesdames et messieurs, qu’est-ce qui vous fait jouir ?

Il paraît difficile de poser pareille question sans passer pour un fou pervers, tant cette question atteint une limite fondamentale : l’intimité, la pudeur, la honte. Qu’importe le flacon, ces notions sont autant de barrières à la découverte du kink, mais une ivresse pour comprendre leur universalité. Si plus de la moitié de mes volontaires n’ont jamais parlé de leurs kinks – à part à la limite à un ou deux partenaires de confiance –, il n’en demeure pas moins qu’ils partagent les mêmes. Des personnes qui ne se sont pas rencontrées, qui n’en n’ont jamais parlé partagent pour autant les mêmes désirs sexuels, pulsions sexuelles. Alors que sont les kinks ? Les 4 éléments de l’avatar ?

Il est notable d’observer que les gens expriment volontiers un besoin, un désir – « j’aimerais bien que tu m’attaches à ce lit », « tu peux faire ton imitation du professeur de physique stp », « tu sais j’aime bien la chantilly », « t’as de beaux pieds » – se sont-ils demandés un jour, pourquoi ? Pourquoi j’aime ça ? Pourquoi les pieds m’attirent ? Pourquoi je ne peux jouir que dans un certain contexte ?

Si on écarte ici le cas particulier des traumatismes sexuels, les kinks ont toujours un fondement, comme une corde qu’une situation va tendre. Ces situations, ces matières, ces rituels sont propres aux cordes de chacun, certaines personnes trouveront cette excitation, cette tension dans des mécanismes différents que ceux de leurs voisins. Mais cette recherche de la corde, de nos sens, est souvent évincée, jugée inutile ou effrayante, nos fantasmes demeurent les projections édulcorées de la lumière originelle de nos kinks. Si au fur et à mesure d’un épanouissement sexuel, d’un gain en maturité, les fantasmes deviennent des expressions plus poussées, des manières plus efficaces de tendre la corde, on ne se demande jamais vraiment pourquoi. On ne se demande jamais quelle est la genèse de ces fantasmes.

C’est ainsi que j’ai proposé à plusieurs personnes suffisamment confiantes de témoigner de manière anonyme sur l’expression de leurs fantasmes et donc de leurs kinks.

Le premier constat est dans ce paroxysme bien connu, la plupart des personnes ne pensent pas leurs fantasmes honteux, mais en ont pour la moitié honte. Entre la pudeur sempiternelle et le partage émétique de sa sexualité, la communication de ses désirs n’est jamais simple. On invoque la peur d’un jugement des tiers ou l’exposition injustifiée de la sexualité d’un partenaire.

Pourtant, force est de constater que mes généreux volontaires partagent des kinks, sans le savoir ou alors en s’en doutant un peu. Les kinks sont redondants, en tout cas leurs expressions fantasmées le sont. Ils sont beaucoup à vouloir être attachés, à aimer le rapport de domination, soumission, vouloir se déguiser, s’abandonner dans un lieu public etc. Pourtant, a priori si le sujet n’est partagé pour la majorité qu’avec le partenaire, c’est donc sans communication qu’on partage ses fantasmes avec le reste de nos congénères.

Phénomène social ? Caractère inné du kink ? Il serait présomptueux de se prononcer. En revanche, on observe que tous les volontaires n’ont pas considéré leur fantasme comme honteux mais entretiennent un rapport honteux vis-à-vis de celui-ci, surtout lorsqu’il s’agit de l’exposer à autrui, même au cercle proche des amis. Alors que les fantasmes procèdent finalement de genèses et de manifestations communes, leur expression en public ou même matérielle est délicate, voire impossible pour certains. Peut-être que le fantasme trouve justement son essence dans le fait qu’il soit irréalisable ou qu’on se refuse à le réaliser, en ce qu’il sort du schéma classique de la sexualité « reproductrice », d’un archétype entendu par tous de ce à quoi doit ressembler un rapport sexuel.

Cette image, et cela parait évident, est un fait social, on a une image encore plus travaillée qu’un roman national de ce à quoi doit ressembler l’acte sexuel. Ainsi, s’en détacher c’est déjà faire œuvre d’une volonté, d’un souhait, d’un désir sexuel déviant par rapport à un référentiel : un kink finalement.

Nous sommes donc tous emprunts de fantasmes, de petites cordes qui ne demandent qu’à se tendre. Ainsi, le caractère déviant de quelque chose qui n’a justement pas de direction « normale » semble dépassé. Les sexualités sont non seulement liées à l’individu mais surtout elles ne procèdent pas d’un « choix ». Ce n’est pas en se réveillant un matin que nous nous sommes dit que dorénavant, nous aimerons les aisselles. D’une certaine manière, nous pouvons être « victime » de notre sexualité. La morale a établi un ordonnancement des pratiques tolérées et des pratiques interdites. Si des pratiques sont tolérables et d’autres non, c’est d’un commun accord qu’on peut difficilement remettre en question, en revanche, si on peut choisir de répudier une sexualité, on ne choisit pas d’en être l’hôte, si l’on peut se poser la question du kink derrière le fantasme, nous aurons bien des peines à déceler un sens à nos kinks.

En illustration de ce phénomène, nous prendrons évidemment un exemple controversé, un kink fondamental qui est justement rarement l’objet d’introspections. La ligne du consentement.

Quel point commun aux fantasmes et pratiques du BDSM ? Entre autre (car elles ne se résument pas à cela), le jeu sur cet interdit moral qu’est le consentement. Pour dessiner de manière vulgarisatrice la pratique : il existe souvent un « safe word » un mot qui signifie et symbolise cette ligne à ne pas franchir, l’instant où le consentement n’est plus acquis et où la pratique dépasse son idée. On observe alors dans cette sexualité différente, un traitement identique d’une frontière du consentement toujours repoussée et stimulée, comme une tension dans le plaisir.

Ainsi, les « cordes » et les kinks se retrouvent et se ressemblent, « domination », « soumission », « contrôle », « lâcher-prise ». Les envies oscillent entre des pôles magnétiques, expliquer la façon dont chacun s’y retrouve serait sans doute présomptueux et répondrait à des paramètres qui nous échappent tant ils semblent multiples. Les kinks ne font pas ce que vous êtes et, n’en déplaise à Freud, ne semblent pas découler de traumatismes d’enfance ou d’une peur de la castration.

Ils sont à la fois personnels et universels, différents mais égaux. Différenciez le pratiquant des axilismes les plus osés au rêveur des plus conventionnels n’est pas si aisé. Finalement, il n’est de meilleur expert que vous pour en connaître, la suite de cet article vous appartient donc. Fantasmez chers lecteurs.

Nous verrons dans un futur déterminé par les capacités de votre serviteur à sortir la tête de l’eau, les traitements dans l’histoire de certains des fantasmes bien connus de notre civilisation, mais ça, ça sera pour une prochaine fois.

 

 

Augustin Pertet

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