Alors que la France se confine et nos quotidiens se retrouvent plongés dans les limbes, le spectre de l’ennui rôde. Réjouissance pour certains, effroi pour d’autres, il est temps de tirer l’affaire au clair.
Enfants, il n’y a rien de plus pénible que l’ennui. Nous avons besoin d’être occupés en permanence et les moments où il n’y a rien d’autre à faire que d’attendre sont des calvaires. Incapables de penser au long terme, nos journées se doivent d’être des successions de plaisirs immédiats. Dès lors, c’est en grandissant que nous apprenons à dépasser la frustration de l’ennui.
Toutefois, l’époque n’est pas propice à un tel apprentissage. Chaque jour, notre société de consommation ne cesse de nous proposer de nouvelles distractions qui nous sont invariablement vendues comme « révolutionnaires » et « indispensables ».
Publicitaires et commerciaux ont réussi à nous faire croire que le bonheur était à vendre : hier par l’accumulation de biens matériels, aujourd’hui par une démarche plus subtile. Désormais, l’immatériel est aussi sur le marché. Si vous n’êtes pas convaincus, je vous invite à regarder quelques publicités. Pour vous vendre une voiture, on vous vendra la liberté et les grands espaces. Pour vous vendre du déodorant, on vous vendra une pléthore de conquêtes amoureuses. La liste n’est pas exhaustive.
Encore plus pernicieusement, de nouvelles formes publicitaires qui ne donnent pas leurs noms (comprenez influenceurs et autres charlatans) nous invitent à un mode de vie ultra-actif, où pour vivre pleinement il faudrait surtout ne jamais s’arrêter. Pourtant, ne vous trompez pas : en rendant nécessaire ce qui relevait avant de l’accessoire, l’objectif est toujours de nous faire consommer plus. Mais je divague, revenons à nos moutons.
Dans une société où consommer est la solution à tous nos problèmes, il n’y a rien de plus dangereux que l’ennui. Dès lors, comment faire quand, par un hasard du sort, la vie s’arrête et que nous devons rester enfermés chez nous ? Si certains se réfugieront sûrement derrière leurs écrans et sombreront dans la paresse intellectuelle la plus regrettable, j’aimerais proposer une troisième voie : accueillons l’ennui !
D’abord, l’ennui est un luxe devenu bien rare. Embarqués dans nos quotidiens bien réglés, nous n’avons plus le temps de nous arrêter et de penser. Saisissons cette interruption salutaire pour nous poser les questions pénibles que nous écartons de façon trop pratique lorsque la routine l’impose. Prenons le temps pour faire le tri entre le superficiel et ce qui compte vraiment pour nous. Ces moments de réflexion, hors du temps, sont rares. Ils sont donc précieux.
Ensuite, l’ennui ouvre à l’infini le champ des possibles. Combien de projets, d’idées, de curiosités sont-ils abandonnés, sacrifiés sur l’autel du quotidien ? La routine est un bourreau qui décapite tous nos élans de créativité et d’originalité au nom de considérations pratiques débilitantes. Aujourd’hui, nous ne sommes plus liés par celles-ci. Réjouissons-nous de l’absence de notre tortionnaire et ressuscitons quelques- uns de ces projets mort-nés.
Bref, par pitié, ouvrons-nous à l’ennui ! Nous découvrirons alors que l’ennui n’est pas une fatalité mais bien une formidable opportunité.
A.G.