Vous faut-il arrêter le droit ?

Après avoir quitté votre modeste appartement parisien du 7ème arrondissement au profit de votre résidence secondaire de l’île de Ré – que la bonne n’aura pas cru bon de préparer en amont, vous vous découvrez du temps libre. Engoncé dans vos vêtements du temps jadis, vous tentez de fuir en avant par la redécouverte des photos de votre enfance et par la piaillerie incessante dont vous vous rendez coupable via Houseparty. Seulement, vous finissez nécessairement par vous retrouver seul face à vous-même, vos doutes et vos interrogations. 

Parce que vous demeurez capable d’une certaine introspection, un grand questionnement se profile et, comme tout étudiant en droit lorsqu’il est seul, vous vous demandez si vos études font vraiment sens. Statistiquement, celui qui me lit n’est ni au Magistère, ni au Collège de droit, ni à l’IDA, peut-être même pas en droit des affaires et valse plus souvent avec le 10 qu’avec le 13. Quand bien même il cumulerait les distinctions assassiennes, une taxinomie avertie nous conduirait à croire qu’il a toutes ses chances d’être au moins aussi malheureux que ses comparses. Alors, à quoi bon ? Pourquoi s’évertuer à finir un cursus académique qui ne vous comble pas ? Pourquoi ne pas arrêter le droit ?

À la vérité, vous n’êtes pas seul : les expériences juridiques contemporaines mènent souvent au doute et au dégoût. Un stage au service pipes/cafés chez Mackey, Stone & Watson LLP fera probablement naître en vous le sentiment d’un grand vide de sens face à l’immonde vacuité de l’avocature d’argent. Votre onzième tentative de détricotage intellectuel des huit premières pages d’un cours de droit du crédit pourrait de même provoquer une éruption cutanée urticante dont vous peinerez à vous débarrasser. Peut-être serez-vous de ceux qui, davantage en phase avec leur ressenti, redécouvriront les plaisirs indicibles attachés à l’indépassable échec personnel que constitue la totale absence de motivation quotidienne. Du reste, force est de constater que l’EFB parvient d’elle-même à démotiver les derniers courageux de par son incroyable capacité à cracher à la gueule de ses propres élèves-avocats stagiaires confrontés au confinement et, par là même, nous démontre une nouvelle fois combien elle orchestre une formidable profession d’enculés. Alors que faire ?

D’abord, un peu d’optimisme. S’il a été démontré à de nombreuses reprises par ce très respectable journal que les études de droit sont difficiles physiquement et moralement, il lui faut s’efforcer d’admettre qu’il entraperçoit une certaine lueur d’espoir, sorte de para-bougie de l’annonciation qui ne conduira cependant pas à un retour en grâce de l’université. En effet, à l’approche de la sélection en M1, il nous est permis de formuler quelques vœux. D’abord, parce qu’elle ne sera plus simplement une passerelle vers un M1 sans condition d’accès, la licence retrouvera possiblement cette « valeur du diplôme » que nos amis de Paris 1 cherchent tant. De fait, l’effort nécessaire au cursus juridique sera vraisemblablement plus intense mais plus concentré : fini le marathon qui commence en novembre de L2 pour s’achever en juillet de M1, la pression retombera pour la plupart d’entre vous un an plus tôt. De même, parce que le droit aligne enfin son système LMD sur les autres filières, ces changements seront peut-être l’occasion pour les plus polyvalents d’entre-vous de se lancer dans les équivalences, les parcours cumulés et le jeu des commissions pédagogiques, autant de moyens de sortir la tête de la marmite juridique et de respirer un peu. 

Alors, qui arrêtera le droit ? Ceux d’entre vous qui embrasseront tant la facilité que le confort matériel partiront certainement dans ces temples du vice que l’on nomme encore école de commerce et feront de ce départ une célébration philistine qui tient davantage de la transmigration des ânes que de la transsubstantiation. Les plus engagés de nos étudiants, nos doctes juristes, continueront d’accaparer les meilleurs formations par leurs parcours sans faute et sans saveur. Ils ne quitteront le nid que pour se justifier d’un passage en « grande école » qui leur permettra de voir considérablement augmenter leurs gratifications d’esclaves sans âme. C’est dans le sublime ventre mou qui sépare ces deux entités que nous trouveront ceux qui hésiteront vraiment, les écorchés vifs de la fac de droit qui hésitent entre Aix, Créteil et Pôle Emploi. Ceux pour qui entamer deux ans de master n’est plus envisagé aussi légèrement que lorsque le M1 était offert et qu’il n’était pas engageant. À ceux-là, le courage ne doit pas faire défaut. Quittez les études juridiques si le cœur vous en dit, restez-y si vous en trouvez la force, ne vous convainquez jamais que vous êtes bloqué. Claquer la porte au droit pour une vie meilleure, c’est possible, pendant comme après vos études. Vous avez un mois, pensez-y.

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