
Par un étudiant en M1 Droit mention droit des affaires.
Depuis la Toussaint, les enseignements de l’Université Panthéon-Assas sont totalement passés à distance. Sans besoin de transition cette fois, apprenant de ses erreurs du premier confinement, l’administration a mis en place une logistique adaptée depuis début octobre, principalement par l’enregistrement vidéo des amphithéâtres et l’achat de licences zoom. Malgré quelques détails par-ci par-là, le rythme de croisière s’est fixé, et l’université a su proposer un enseignement comparable à celui dispensé en présentiel.
Dans les faits, son fonctionnement n’a pas été révolutionné, loin de là. Il récite toujours et encore la même partition en boucle. La mélodie s’échappe dorénavant des ordinateurs, jouée sans fausse note par les professeurs, chargés de travaux dirigés et étudiants : les cours d’amphithéâtre et les séances de TD sont dispensés par visioconférence, des devoirs prévus sont à rendre régulièrement en fonction des matières, un corpus de documents est à étudier afin de préparer la séance hebdomadaire. Il semble très complexe d’affirmer que la charge de travail a été modifiée : les assassiens actuels sont indéniablement soumis aux mêmes obligations que leurs prédécesseurs.
Toutefois, les répercussions du distanciel ne sont pas anodines, aussi bien sur la qualité et la pertinence de l’enseignement que sur le ressenti des étudiants. A la nécessité de réaliser une évaluation « continue » des étudiants pendant le semestre s’est confronté le maintien d’une pédagogie rigide et inadaptée, et les lacunes d’un système dépassé ont alors été mises en lumière. Ces écueils apparaissent d’autant plus visibles lors d’une première année de master, année de première spécialisation et relative professionnalisation.
« Sachant que la profondeur d’une réflexion sur le droit est proportionnel au temps d’étude passé sur la matière, il est définitivement impossible pour les étudiants de bénéficier d’une pédagogie tournée vers le développement d’une intelligence juridique. »
L’honneur de la distance est la prise de recul, aussi bien physique que psychologique. La tête s’éloigne progressivement du guidon. Après une étude factuelle du programme, on en vient à se demander comment et par qui il a été composé, et surtout dans quel but. Les première et deuxième années de licence de droit demeurent celles qui paraissent les moins chargées sur le papier, avec respectivement des volumes horaires de 507 et 463,5 heures d’enseignement annuel minimum, hors deuxième langue vivante, sport, tutorat en L1 ou ateliers de professionnalisation. Certes, la charge de travail n’est pas forcément proportionnelle au volume horaire d’enseignement. Néanmoins, il se dégage lors de ces deux premières années un équilibre, entre découverte du droit et acquisition des fondamentaux : les principaux enjeux semblent être l’assimilation de la méthodologie et d’une culture juridique dense.
Dès la troisième année, épisode de pré-spécialisation, le nombre de matières obligatoires augmente pour dépasser un seuil rédhibitoire : 579 heures d’enseignement obligatoire à l’année contrairement aux 471 heures qu’affiche le site de l’université, à croire que l’administration n’a pas conscience des dimensions du programme qu’elle propose. Le Master 1 (mention droit des affaires) poursuit cette voie avec le même volume horaire et un semestre le plus dense composé de 3 matières fondamentales et de 4 matières complémentaires sans l’anglais, ce qui correspond à 4 TD par semaine. Sachant que la profondeur d’une réflexion sur le droit est proportionnel au temps d’étude passé sur la matière, il est définitivement impossible pour les étudiants de bénéficier d’une pédagogie tournée vers le développement d’une intelligence juridique. A moins que cette organisation ait pour unique but une sédimentation forcée des connaissances par défaut. Ce rythme imposé à marche forcée est suivi au détriment de l’enseignement des langues vivantes, dont la valeur dans le monde actuel n’est plus à démontrer, d’une manière d’enseigner qui prend son temps et somme toute moins rébarbative, et d’un enrichissement extra-universitaire indispensable.
A l’origine d’une fatigue estudiantine mêlant pression et incompréhension, se retrouve notamment cette charge de travail excessive. Pourtant libérée de dépenses temporelles inutiles par le confinement, elle semble d’autant plus décuplée. De fait, la confusion entre le temps d’étude et le temps de loisir (ou plutôt le reste du temps) joue un rôle fondamental dans ce ressenti. L’étudiant se déplace beaucoup moins, étudie où il vit, mange où il travaille. L’époque pas si lointaine, quand les enseignements avaient lieu au 92 rue d’Assas, avait l’avantage d’instaurer un semblant de frontière entre ces deux mondes : les amphithéâtres, les salles de TD et la bibliothèque universitaire formait une bulle quasi-hermétique. A présent, la barrière naturelle est devenue trop poreuse pour le moral de l’étudiant : son esprit a l’impression d’être constamment sollicité. Il ne peut se passer de travailler puisque l’université est entrée dans sa maison, son appartement, dans son cagibis. Sa détresse psychologique n’est pas à sous-estimer : coincé dans une conjoncture exceptionnelle, l’étudiant souffre.
« Forte de cet acharnement pédagogique dépassant l’obstination déraisonnable, sous-tendue par des visées implicites pour le maintien de la « valeur du diplôme », la méthode utilisée n’engendre que la délivrance hasardeuse de ce dernier portant d’autant plus atteinte à sa valeur. »
Le temps de la bienveillance du premier confinement a cédé la place à celui du manque de compréhension flagrant, contre lequel se sont violemment heurtés les « états d’âmes » des étudiants à la peine. Bien plus qu’une question de sévérité dans la notation, c’est l’accompagnement des étudiants par le corps enseignant qui a failli. L’exigence s’est accrue et le système en place déjà imparfait n’a pas bougé d’un iota. Les formes d’évaluation cristallisent particulièrement ce mur d’aveuglement volontaire dont il a fait preuve.
L’exemple le plus parlant est l’exercice du cas pratique, dont l’objectif pédagogique est l’évaluation d’une restitution organisée de connaissances appliquée à une situation précise et qui caractérise l’essence-même du métier de l’avocat. Il nécessite pour sa réussite un apprentissage et une compréhension du cours efficace, de même qu’une méthodologie sans faille. Par conséquent, il n’a plus lieu d’être utilisé dans le cas d’une évaluation à distance, pendant laquelle l’étudiant possède à sa disposition son cours et possiblement les raisonnements les plus probables déjà préparés. Effectivement, l’évaluation ne porterait plus que principalement sur l’application de la théorie à l’espèce, la partie qui reste la plus évidente. La réaction des professeurs, suppléés par leurs chargés de TD, fut d’autant plus absurde : réduire le temps de composition et augmenter la longueur du sujet, pour accroître artificiellement la difficulté des sujets et officiellement éviter la triche par transmission d’informations entre les étudiants. La répartition des notes ne doit pas se faire sur des critères aberrants. Forte de cet acharnement pédagogique dépassant l’obstination déraisonnable, sous-tendue par des visées implicites pour le maintien de la « valeur du diplôme », la méthode utilisée n’engendre que la délivrance hasardeuse de ce dernier portant d’autant plus atteinte à sa valeur. En effet, la valeur du diplôme ne repose pas simplement sur son niveau de difficulté mais davantage sur la nature de cette difficulté. L’acquisition de compétences devrait être l’unique fil rouge de l’enseignement. Le cas pratique ne doit pas pour autant être abandonné du fait de la distance, il est cependant essentiel qu’il fasse l’objet d’ajustements qui ne dévoient pas sa raison d’être.
Des alternatives existent pourtant, encore faudrait-il que certains professeurs (de droit privé) adaptent le contenu de leur cours se réduisant à une lecture du code. A l’instar de devoirs théorique tel que la dissertation ou le commentaire d’arrêt, l’évaluation à l’oral pourrait être privilégiée, chose faite par certains. Cela est bien entendu convenable à condition que celle-ci dure plus des 3-4 minutes expédiées habituellement, pour laisser la latitude au chargé de TD d’apprécier la maîtrise et la réflexion de l’étudiant. Par ailleurs, il paraît bien futile d’exiger des étudiants la connaissance de l’ensemble des articles des codes qui auraient été disponibles en temps normal. Assurément, l’apprentissage dit « par cœur » est au cœur de l’enseignement juridique, et il est justifié par la nécessité d’un socle minimum. Il est toutefois illusoire de fonder sa notation sur la capacité de l’étudiant à ingurgiter des données superflues pour mettre en valeur les probables excellents juristes futurs.
Il serait aussi d’intérêt que ce credo s’applique aux matières complémentaires, évaluées en temps normal par un oral de quelques minutes ou un « écrit-oral ». L’incongruité de questions posées, correspondant à une sous-partie du cours d’amphithéâtre, est telle qu’elles exigent de l’étudiant une vomissure digne d’un automate. L’utilisation de questionnaires à choix multiples lors des sessions de juin et septembre 2020 a accordé une visibilité à ce nouveau format judicieux, admettant aussi bien un contrôle de connaissances qu’une vérification de l’appréciation globale de matière ou une application succincte à des situations réelles. Cette illustration démontre qu’une évaluation efficace et cohérente doit nécessairement aborder plusieurs formes de raisonnement en concert avec différents formats d’exercice dès que possible. Si cela semble complexe lors d’un examen, le contrôle continu s’y prête volontiers.
« Il convient de comprendre par ce nouveau confinement la caducité du système amphithéâtre/travaux dirigés, qui n’a plus sa place dans le monde moderne. »
Cet ensemble d’indices converge vers une incohérence notable par rapport aux objectif de responsabilisation, d’autonomie et de professionnalisation des étudiants. Ces symptômes peuvent être négligeables pendant la licence. Seulement, ils deviennent inquiétants lors de l’année de Master 1. Quand un chargé de TD vous annonce que votre professeur assume et revendique la longueur démesurée de son galop, dans l’intention de faire de ses étudiants « des machines », tout devient clair comme de l’eau de roche. Alors que l’examen du CRFPA et son grand oral nécessitant une certaine maturité juridique est à la portée d’un étudiant sortant de sa première année de master, l’université moule des étudiants à la chaîne. A la place de robot d’application bête et méchante du droit, elle devrait produire des machines méthodologiques exerçant libertés et connaissances avec autonomie. Il est quand même surprenant de moins en moins réfléchir au fil de l’avancement des études supérieures.
Les changements à venir ont le potentiel de transformer l’ordre établi. L’organisation par une sélection à l’entrée du master offrira l’opportunité de répartir les enseignements théoriques, pratiques, et professionnels pendant les deux années de master, et la première année verra alors son programme allégé. On peut espérer que l’organisation entre licence et master soit renouvelée pour définir une meilleure continuité entre les deux premières phases de l’enseignement universitaire. De surcroît, il semblera alors tout à fait logique de restreindre l’accès à l’examen du CRFA aux étudiants en possession d’un M2.
Outre les modifications formelles, il convient de comprendre par ce nouveau confinement la caducité du système amphithéâtre/travaux dirigés, qui n’a plus sa place dans le monde moderne. Les anglo-saxons l’ont compris, le temps passé par les étudiants ne doit pas gaspillé pour une récitation monotone et frénétique des règles de droit par des professeur dont le temps est précieux. Pourquoi s’obstinent-ils à reproduire ce qu’ont fait leurs prédécesseurs ? Surtout quand il est de toute façon prescrit aux étudiants de lire des manuels pour préparer leur TD. L’échange et l’approfondissement doivent être remis au centre de l’université. La substance du cours devrait être envoyée aux étudiants au préalable, puis les professeurs et/ou chargés de travaux dirigés permettraient d’atteindre ces objectifs. Le premier effet sera de rapprocher les étudiants des professeurs, pour éviter que ces derniers détournent systématiquement leur attention au bénéfice d’une activité plus avantageuse.
L’Université n’a plus en ligne de mire l’un de ses objectifs initiaux, l’épanouissement intellectuel et relationnel de ses étudiants, et n’effectue donc plus son rôle de guide. Abstraction faite des belles choses que propose notre université, non mentionnées dans cet article, le résultat de cette politique n’est que dégoût et fuite.
Baptiste Lavazais