Narcisse à l’ère des réseaux sociaux

Te voilà sur Instagram. Tu vois ces vies qui défilent, ces informations qui fusent sous ton pouce agile. Il manipule avec adresse et virtuosité les outils que dissimule cette surface lisse nommée portable. Sur ce fil d’actualité, ton pouce se trémousse ; il est pris de frénésie face à cette infinité de vies qu’il veut saisir. Tu goûtes à cet instant, cette notion abstraite et pourtant tactile, ce mythe, ce fantasme d’éternité. En effet ce fil est sans fin, il regorge d’informations, de données, d’humains, c’est l’infini au creux de ta main, l’infini à portée de main.

C’est dans ce domaine clos et anonyme, dans ce puits sans fond de données que nous nous révélons à nous-même et aux autres. Ici se révèle « l’âme humaine », du moins ce qu’il en reste. C’est ici que tu peux exprimer ton « moi profond », ta sensibilité, tes goûts, tes convictions, tes passions. 

Mais quelle part accorder à l’influence des grands médias, des influenceurs, de la mode et de la publicité ? Aux conditionnements et déterminismes sociaux, économiques, culturels, de genre ? Le système, cette industrie à faire consommer, a merveilleusement réussi son entreprise néolibérale en faisant de nous de bons petits consommateurs dociles mais également des influenceurs, des incitateurs, des commerçants déguisés. Nous sommes des êtres virtuels essayant de faire fructifier capital beauté, financier, intellectuel, bronzage, jeunesse et j’en passe. Instagram a supplanté facebook, manifestant le triomphe de l’image sur les mots. L‘image ne convoque pas une rhétorique mais le désir, l’émotion. Cette abondance alléchante et ludique de signes paralyse tout esprit critique.

Quelle erreur avons-nous fait en ouvrant la boîte de Pandore ? Cette boîte noire qui recèle tant de mégalomanie et de fantasmes. Machine destructrice, machine chimérique ? Cet écran, c’est l’entrée dans le néant mais aussi dans une toute puissance dévastatrice. 

On pensait que cette horizontalité électronique nous ferait accéder à une utopie démocratique. Avec internet, la liberté d’expression est là. L’égalité entre les sujets existe… Mais la différence ne s’efface pas. Ton compte insta n’est qu’un tourbillon de signes me renseignant sur ton milieu et tes conditionnements sociaux. Les castes et les quartiers se reconfigurent. Toujours le même entre-soi, on ne se mélange pas. Nos nouvelles armoiries se gravent là, aux yeux de tous, sur notre « mur », et nous permettent de pavoiser. C’est le nouveau blason de famille. Anoblissement social possible, mode de distinction moderne. Montre-moi ton profil et je te dirai qui tu es ; ton milieu, tes privilèges, ta stratégie de distinction pour t’émanciper d’une masse insipide. Je te dirai ce que tu es puisque nous sommes devenus des images où la forme a triomphé du fond. Tout paraît inoffensif et pourtant rien n’est anodin dans ce culte du moi, de la beauté, de la soi-disant originalité qui se complaît en réalité dans un conformisme béat. Jouons la carte de la simplicité derrière cette photo stylisée… Si tu ne t’y plies pas, c’est la mort sociale… Ce gouffre, cette angoisse de l’oubli, de sombrer dans l’anonymat…

Instagram est le reflet de notre milieu social. Le capital transparaît, voilé et masqué par des images et prises de paroles naïves, en réalité connotées et surchargées d’expressions me renseignant sur ton appartenance sociale. L’insignifiant côtoie le curieux, le significatif. Tout revêt l’apparence de la légèreté, de la neutralité alors qu’il s’agit d’imposer son capital culturel, scolaire, social et économique. Et l’argent gagne toujours… Le capitalisme revêt des allures fantaisistes pour nous inciter à exposer de façon ostentatoire nos biens personnels. Instagram ne constitue pas tant une opportunité pour se lier mais davantage une occasion pour se distinguer. 

Insta, un réseau où nous nous vendons. L’abolition de l’esclavage n’a pas aboli le commerce des corps. Servilement nous servons les yeux fermés un système qui vend notre peau pour une croissance économique qui n’aura de fin que lorsque le monde sera englouti par ses excès. Les réseaux sociaux perpétuent le soft power avec une soft aliénation. Allez vas-y, vas-y, c’est ça, sois belle, montre ta force, montre ta richesse, montre ce que tu définis comme « bonheur », vends-toi à la société en dévoilant une plastique impeccable ou tes pseudo lectures de poésie du mois. 

Quoi de plus surfait aujourd’hui que d’exposer notre quotidien ? Si on ne parle pas du quotidien, c’est parce qu’il ne se passe rien. Le médiatiser, c’est lui accréditer un quelconque intérêt. La réalité c’est qu’on préfère vivre par procuration. On est trop passif pour éteindre nos écrans et commencer à vivre. La vie est ailleurs.

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