Devenue une pratique commune pour nous aider dans le choix du restaurant de ce soir, du nouveau coiffeur ou de votre hôtel lors de votre prochain voyage à Munich, se fier au système de notation offert par les moteurs de recherches ou sites de voyage a tendance à nous influencer dans nos décisions du quotidien.
Mais pouvons-nous vraiment placer notre confiance en ces étoiles ? Il serait facile de répondre oui, en effet, cette habitude nous évite certaines mauvaises expériences et vous permet de faire croire à votre ancien pote du lycée que vous trainez dans les endroits les plus côtés de votre ville. En cas d’hésitation, vous n’avez plus qu’à vous laisser guider par l’avalanche de commentaires en ligne pour décider de votre prochaine escale et vous éviter bien des disputes.
Nous sommes ainsi plongés dans un système permanent de notation sur tout et n’importe quoi, allant de notre opticien aux monuments. Ainsi, sachez que si vous hésitez sur votre prochaine tombe à visiter, celle de Dalida avec ses 4,5 étoiles sur Google vous apportera une bien meilleure expérience que celle de Guy de Maupassant avec ses 4,2 étoiles, qui reste tout de même « un endroit magnifique pour profiter des vacances entre amis et en famille » d’après Denis. Ce phénomène s’apparente à un processus qu’Alain Supiot appelle la gouvernance par les nombres : il s’agit d’un ressort du néolibéralisme pour être plus performant dans tous les secteurs de production.
De telles habitudes de notation peuvent être à l’origine d’un ressort comique comme au sein de l’un des programmes de Vice où Taji, le chroniqueur, offre une deuxième chance aux endroits les moins bien notés dans l’émission « One star review » et tombe sur des bonnes expériences ainsi que des plus rudes comme le suggère un épisode à propos d’un buffet à volonté.
Cependant, la construction même de cette émission montre à quel point les partenaires mal notés – qu’ils le méritent ou soient victimes de la course aux étoiles – sont très vite relégués aux oubliettes. Nombreux sont ceux qui se retrouvent obligés de mettre la clé sous la porte face à un manque de clientèle.
Cependant, nous pouvons nous interroger sur une application de ce système de notation dans un autre domaine comme l’enseignement. La démarche constructive de l’amélioration de l’enseignement est louable et peut permettre une réelle avancée. Derrière l’anonymat protégeant les élèves ne voulant se mettre leur chargé de TD à dos, nous pourrions penser que les résultats seraient objectifs mais ce mécanisme pratique peut tout autant avoir un côté malsain. Qu’adviendra t-il d’un professeur trop mal noté ? Serait-il lui aussi relégué aux oubliettes de l’enseignement et forcé à donner des cours sur Zoom pour l’éternité ?
En 2016, des chercheurs de l’université d’Illinois aux Etats-Unis ont montré qu’il existe un biais d’attribution de qualités comme « brillant » ou « génie ». Basée sur un échantillon de 14 millions d’avis sur le site de notation académique Ratemyprofessor.com., l’étude révèle que les hommes sont plus souvent définis par ces termes que les femmes, encore moins celles issues d’une minorité ethnique. Cela serait lié au fait que ces qualités sont perçues comme naturelles, et que le « talent » serait ainsi plus souvent lié à certains groupes sociaux.
Pour poursuivre dans la notation des individus, la LOLF (Loi organique aux lois de finances) promulguée en 2001 dans un objectif de « budgétisation orientée par la performance » pousse à rendre compte de l’efficacité de certains fonctionnaires. Mais un tel procédé soulève des interrogations : comment mesurer quantitativement le travail de certaines catégories de fonctionnaires, notamment au sein de la politique étrangère où le travail d’un diplomate peut s’avérer être en partie fondé sur du relationnel ?
Ainsi de nombreuses dérives de ce système peuvent être possibles, d’où la remise en question de cette notation qui semble inoffensive au premier abord.
Nous avons donc à disposition un classement des différentes composantes de notre société et étonnamment, quoique pratique en établissant un classement rigoureux de chaque catégorie d’objet possible, celle-ci peut avoir tendance à nous faire perdre notre temps. En effet, lors de nos recherches de services ou de loisirs, nous nous éternisons, toujours en quête d’un établissement plus étoilé. Également, cela joue sur nos attentes par rapport à la notation de l’enseignement d’un professeur, ou la qualité de la boulangerie de quartier. Prendre du recul sur nos écrans pourrait s’avérer utile pour se détacher de l’anticipation de chaque expérience. A-t-on vraiment envie de suivre le même guide « touristique » concocté par internet lorsqu’on décide de « s’aventurer » dans notre propre ville ? Nos avis peuvent bien vite être différents.
Loin de totalement discréditer ces agrégats d’avis, il serait ici question d’essayer de moins en dépendre au quotidien pour tenter d’établir ses propres repères. En effet, ne laissez pas Karine ou Charles déterminer votre avenir parce que celui-ci a été vexé par le serveur qui ne lui a pas rapporté d’olives. Alors, allez vous balader à la recherche d’un restaurant original, certes, vous n’êtes pas à l’abri de tous les risques mais qui sait, vous êtes peut-être à une balade près de trouver votre prochain havre de paix. Et si vous êtes un établissement cherchant à sauver votre réputation, vous pouvez prendre exemple sur le Bec de Jazz à Lyon, qui répond aux commentaires négatifs en transmettant sa version des faits, peu importe qu’elle soit vraie.
H. Kane
Très bien ton article. J’adhère complètement. Bon, mais je ne vais pas te mettre des étoiles quand-même..!!
👍😊
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Complétement d’accord, on est pas dans black mirror non plus !
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