Événement du monde de la mode, la Maison Dior a organisé son premier défilé à Londres pour sa collection Dior Homme, à l’automne 2022. Le choix de la capitale britannique revient à Kim Jones, styliste habitué de la toute puissante LVMH.
À la tête de la nouvelle collection, Jones fait fureur par sa source d’inspiration : Sur la Route de Jack Kerouac. En rupture avec la classique recherche iconographique dans l’histoire de la Maison ou de la mode, le Londonien revisite les tableaux littéraires dressés par le romancier de la Beat Generation et innove.
Le parti-pris du Londonien interroge la vieille antienne du rapport entre littérature et illustration par un médium peu rencontré pour explorer la question : le vêtement. Kim Jones réussit son pari : il habille ses vêtements de l’atmosphère kerouaquienne et ravit sa clientèle. Jack Kerouac, figure de proue du mouvement littéraire Beat, renaît au cœur du défilé.
Sont repris les scènes que le romancier décrivait dans Sur la Route au tournant des aventures de Sal Paradise et de Neal Cassady. Les deux vagabonds, le plus souvent sans le sou, qui naviguaient entre les différents paysages de l’Amérique au rythme de rencontres reprennent vie à Londres.
Sous les pas des mannequins se déroule la réplique du rouleau de papier duquel Kerouac usait pour rédiger son manuscrit et les pièces se multiplient : T-shirt et imper’ taillés aux couleurs de Kerouac, mais aussi accessoires. Sur demande spéciale des clients, Dior transforme le porte-document d’époque en un double porte-Iphone. Il s’agit de permettre à chacun d’envelopper ses deux quasi-SMIC français dans la contre-culture de la beat generation.
Kerouac qui illustrait les marginaux de la société américaine se retourne dans sa tombe. Jack Kerouac n’était pas un révolutionnaire anticapitaliste, pas plus que son œuvre. Mais, il y a tout de même dans celle-ci un rejet par la fuite de l’ordre établi. C’est à la marge de l’American Way of Life que se dessinent les accents d’une bohème romantique entre la joie et la pauvreté – pour reprendre les termes de l’auteur.
Puis, il y a Dior et Kim Jones. Loin de nier les qualités artistiques d’une telle Maison ou de son directeur artistique, il faut tout de même pointer du doigt une chose : le rapport entre la portée politique de la littérature et sa mise en produit à des fins commerciales.
En se servant d’une telle référence pour créer des produits adressés uniquement aux plus privilégiés, le styliste stérilise l’œuvre de l’écrivain de toute sa portée politique. C’est un hommage qui rend inoffensive l’œuvre, qui la lave de sa crasse, de sa misogynie, et de ses nuances pour la rendre exploitable. Et c’est dommage.
Cette utilisation de l’œuvre est donc, à mon sens, d’une ironie qui attriste. L’innovation haute-couture du créateur équivaut à la distribution en masse d’effigie du Che sur T-Shirt blanc – fast fashion et révolutionnaire communiste faisaient, à l’époque, bon marché.
Perdant toute crédibilité, l’industrie de la mode piétine le rejet du luxe et de la consommation dont témoigne l’œuvre de l’écrivain. Et la littérature n’est plus qu’un réservoir à idées mineures, sans conséquence, ni valeur en soi.
Antoine.