Un pays ingouvernable

Le Pérou, que l’on connaît pour la beauté de ses paysages et la richesse de son histoire, se différencie aussi par ses particularités économiques, ethniques, qui en font « un pays ingouvernable ». 

Pourtant, de nombreuses politiques ont été expérimentées : de droite, de gauche, par des riches comme des pauvres, et le Pérou a même connu sa première femme présidente en la personne de Dina Boluarte. Tous ont échoué, confrontés soit aux élites économiques de la capitale, soit au cri de justice du peuple péruvien. Ces gouvernements n’ont jamais réussi à établir une stabilité dans le Pérou contemporain. 

Actuellement, ce pays traverse à nouveau une crise politique et sociale. Les récentes manifestations qui ont commencé après la destitution de l’ancien président Pedro Castillo, sont fortement réprimées par la police. Un bilan de plus de cinquante morts, parmi lesquels quarante-huit civils, démontre bien les défaillances du système étatique péruvien. En effet, dans la dernière publication de l’indice de démocratie de The Economist, le Pérou a perdu son statut de démocratie imparfaite, en devenant ainsi un régime hybride, avec donc une tendance autoritaire. 

Un retour en arrière  

Afin de pouvoir comprendre les enjeux des manifestations, un petit retour en arrière doit être fait. Nous verrons que les événements actuels sont la conséquence d’une longue crise politique qui commence en 2016. 

Depuis cette époque jusqu’en 2021, le Pérou a connu quatre chefs d’État. Le premier a été le président élu en 2016, Pedro Pablo Kuczynski. Ce dernier a été confronté pendant 2 ans à un blocage total de ses mesures par le Congrès, largement dominé par le parti d’extrême droite « Fuerza Popular » de Keiko Fujimori, fille de l’ancien dictateur Alberto Fujimori. On peut considérer que c’est à ce moment précis que s’est opéré un divorce entre le Congrès et le peuple péruvien, qui a dans sa grande majorité désapprouvé la façon d’agir de ses représentants. Ce conflit entre exécutif et législatif se termine avec la démission de Kuczynski en 2018. Confronté à une procédure de destitution, des enregistrements audio dans lesquels il essayait de convaincre certains parlementaires de voter contre celle-ci en échange d’une grâce présidentielle d’Alberto Fujimori ont été publiés par la presse.

C’est donc Martin Vizcarra, vice-président de Kuczynski qui a assuré la présidence jusqu’en 2020. Il entreprend alors une lutte frontale contre le Congrès et adopte un rôle de défenseur du peuple contre la tyrannie des parlementaires “corrompus”. Cette confrontation lui donne une énorme popularité, dont il se sert pour dissoudre le Congrès. Néanmoins, sa mauvaise gestion de la pandémie, et des affaires de corruption, provoquent sa destitution.  

Le président du Congrès, Manuel Merino, prend alors le pouvoir. Alors que la destitution de Vizcarra est vue par la population comme un coup d’État du Parlement, des manifestations fortement réprimées par la police éclatent dans tout le pays, et provoquent la mort de 2 civils. Le divorce entre le Parlement et la population s’accentue de plus en plus. Après 5 jours, Merino démissionne et le nouveau président du Congrès prend le pouvoir : Francisco Sagasti. Il réussit une tâche qui semblait impossible : finir son mandat ! Pendant un an, le Pérou vit un instant de stabilité démocratique et politique, laissant entrevoir la fin de la crise. 

La victoire d’un novice

Effectivement, ces cinq années d’instabilité, crises, destitutions et dissolutions qui se sont  succédées les unes après les autres ne sont pas restées sans effets. La sphère politique a en grande partie perdu la confiance des péruviens. 

C’est dans ce contexte qu’un novice de l’univers politique du pays, Pedro Castillo, réussit à remporter l’élection présidentielle de 2021. Venant d’un milieu populaire, avec un discours de gauche radical et la promesse de rédiger une nouvelle Constitution, il obtient un énorme soutien notamment chez les populations de la région montagneuse du sud, la plus pauvre du pays. Exaspérées des promesses jamais tenues, ces populations ont confié le pouvoir à un populiste qui finira par les décevoir.

En effet, Castillo ne profite pas de cette opportunité inédite pour améliorer la situation des plus démunis. De nombreux scandales surgissent lors de son mandat : il nomme par exemple des ministres entretenant des liens avec des groupes terroristes, certains sont emmêlés dans des affaires de corruption, tandis que d’autres sont accusés de violences familiales. Castillo lui-même est accusé de  corruption, comme plusieurs membres de sa famille. En d’autres termes, plutôt que d’utiliser son poste de président pour contribuer à une meilleure répartition des richesses et encourager l’investissement dans les zones ayant activement participé à son élection, il en a profité pour se remplir les poches, et régler ses dettes politiques.  

Pourtant, et à contre-courant de ce que laissent entendre les médias traditionnels péruviens, il semble difficile d’imaginer que Castillo soit le seul responsable de la crise. En effet, la presse et le Congrès ont déclaré la guerre à Castillo, et cela avant même le début de son mandat. Pendant la campagne électorale et pendant l’entre deux tours, la majorité des médias péruviens ont ouvertement soutenu son adversaire, Keiko Fujimori. Même s’il semble difficile de justifier le traitement que Castillo a infligé à la presse pendant sa présidence, cela explique son comportement agressif envers elle. De même, le Congrès, majoritairement de droite conservatrice, a à plusieurs reprises essayé de le destituer, et cela dès le début de son mandat. 

La crise est donc totale. Le taux d’opinions favorables pour le président est légèrement supérieur à 20%, et celui du Congrès ne dépasse pas les 15%. En d’autres mots, le Pérou ne veut ni le pouvoir en place, ni l’opposition ; ni la gauche, ni la droite ; ni le législatif, ni l’exécutif. Il ne veut personne !

Un coup d’État échoué

Au milieu de cette difficile conjoncture, Pedro Castillo, qui se confrontait à une nouvelle procédure de destitution et à un énorme rejet de la population, a fait une tentative de coup d’État. Comme Fujimori en 1992, il a annoncé lors d’une allocution présidentielle la dissolution du Congrès, et a déclaré que « le système judiciaire, le pouvoir judiciaire, le ministère public, le Conseil national de la justice, et la Cour constitutionnelle » étaient en réorganisation. La Cour Constitutionnelle s’est pourtant rapidement prononcée en qualifiant les mesures annoncées comme correspondantes à un “coup d’État”. 

Le journaliste Gonzalo Banda de El País l’a qualifié d’un coup d’État « sans alliés ni stratégie ». En effet, l’espoir de Castillo de rester au pouvoir n’a duré que quelques heures, avant qu’il soit destitué, et emprisonné. Dina Boluarte, sa vice-présidente et auparavant membre du parti d’extrême gauche Perú-Libre, parti avec lequel Castillo avait gagné les élections, est donc devenue en 2022 la première présidente du Pérou. 

Des manifestations qui divisent la population 

Son arrivée s’est suivie d’une série de manifestations dans plusieurs villes du pays. Ce sujet est extrêmement polémique puisqu’il a profondément divisé la population péruvienne en deux. D’une part, ceux en faveur des manifestants et soutenant la revendication des élections anticipées. D’autre part, ceux défendant la position du gouvernement et du Congrès, et souhaitant le maintien des politiques au pouvoir. On peut considérer que ces deux positions sont défendables, puisque chacune bénéficie d’arguments lui donnant raison, cela complexifiant encore la situation. 

Une violence vaine

Même si l’action collective menée par le peuple péruvien est tout à fait légitime, il semble important de faire remarquer que de nombreux débordements ont eu lieu. La destruction des aéroports des villes d’Arequipa, de Cuzco, ainsi que la violence des manifestants qui a provoqué la mort de 7 policiers, dont un brûlé vif dans sa voiture, nous obligent à avoir un œil critique sur ce mouvement. Effectivement, l’histoire du Pérou nous permet de dire qu’un tel degré de violence n’avait jamais été atteint dans la période contemporaine. Par exemple, la « Marcha de los Cuatros Suyos » du 26, 27 et 28 juillet de l’année 2000, a provoqué la démission du dictateur Alberto Fujimori tout en étant fondamentalement pacifique. De même, on peut citer les manifestations de 2020 ayant permis la démission de Manuel Merino, qui furent aussi en grande majorité pacifiques même si quelques débordements ont pu avoir lieu. 

Le maintien des dirigeants au pouvoir ? 

Défendre le gouvernement est une tâche compliquée. Il est impossible de nier les répressions policières qui ont provoqué de nombreuses victimes, notamment chez les populations civiles. Cette violence démontre l’incompétence du ministre Otárola et de Dina Boluarte. De même, on peut tout autant critiquer les parlementaires qui mettent leurs intérêts personnels au-dessus de la crise, et rejettent tous les projets d’élections anticipées. La demande « qu’on les mette tous dehors » d’une partie du peuple péruvien semble être totalement ignorée. Toutefois, quelques arguments permettent de défendre l’idée selon laquelle le Congrès et le Gouvernement devraient rester jusqu’à la fin de leur mandat. 

Depuis 2016, comme nous l’avons vu, le Pérou a connu une instabilité politique, marquée par la succession de 6 chefs d’État et d’une dissolution du Congrès. L’arrivée de nouveaux gouvernants marquerait un nouveau départ qui risquerait de provoquer encore plus d’incertitude. Rien n’assure que les nouveaux politiques seront de meilleures alternatives aux actuels. Depuis 2021, aucun nouveau leader politique n’a émergé comme une option crédible et susceptible d’améliorer la situation du pays, comme ce fut le cas au Chili avec Gabriel Boric, leader social lors des manifestations chiliennes de 2019. Ainsi, les options restent les mêmes pour le peuple peruvien, aucune amélioration n’est proposée. 

Cependant, cette possibilité de maintenir le Gouvernement comme le Congrès, demande de grands changements dans leurs façons d’agir : fin des répressions policières, prise en compte des demandes des manifestants, etc. En effet, la démocratie et la stabilité ne pourront être restaurées que si la relation entre les pouvoirs et la population s’améliore.

Pour des journalistes comme Augusto Townsend, l’organisation de nouvelles élections serait néanmoins une solution temporaire, permettant de mettre fin aux manifestations, à la répression, et donc à la violence, mais cela seulement pour un certain temps. 

Une nouvelle Constitution

La principale revendication adressée par les manifestants est encore aujourd’hui la rédaction d’une nouvelle Constitution. Ses partisans défendent l’idée que la Constitution actuelle serait à l’origine de la misère que connaissent certaines régions péruviennes. En effet, sa forme pose des problèmes de séparation des pouvoirs et de représentativité de la population, entre autres. Néanmoins, l’inefficacité des autorités régionales ainsi que la corruption semblent aussi expliquer ces inégalités de développement entre les différentes zones du Pérou. 

Juridiquement parlant, des révisions constitutionnelles pourraient être envisagées.  En pratique, le Parlement pourrait cependant bloquer une grande partie de ces réformes, notamment celles lui enlevant des pouvoirs et des prérogatives. De plus, les changements nécessaires sont si profonds, que la meilleure solution semblerait être celle d’une nouvelle Constitution, pour un nouveau régime. 

Un futur incertain

Ainsi, nous avons vu que la crise que connaît le Pérou est beaucoup plus profonde et complexe que ce qui a jusqu’à maintenant été dévoilé par les médias. De nombreuses propositions sont faites pour remédier aux différents problèmes, chacune ayant ses points positifs et négatifs. Néanmoins, il semble difficile d’envisager une accalmie dans les prochains mois, puisque le futur du Pérou, même à court terme, paraît imprédictible. Après les dernières années d’instabilité, la démocratie péruvienne est suspendue à un fil. Pourtant, quelque chose semble clair : le Pérou a besoin de changements profonds, et cela avant que la situation soit irrémédiable.  

Rodrigo Castillejo

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