Je me trouvais un jour à déambuler dans Versailles par la force des événements – j’attendais la fin des cours de ma régulière –, sans idée particulière en tête. J’entrais alors dans le Gibert Joseph du 62 rue de la Paroisse avec l’idée d’acheter un Folio de la collection à 2€ l’exemplaire, quand je vis dans la pile un court livre d’Oscar Wilde intitulé Maximes et autres textes. Pouvoir disposer d’un recueil de phrases piquantes de l’auteur à utiliser au moment opportun me semblait être une perspective tout à fait satisfaisante bien qu’entachée de la vantardise d’un génie spolié. La lecture se fit dans le RER C de retour pour Paris. Après les fameuses maximes ayant servis d’argument à l’achat du livre, voilà qu’un court texte du recueil intitulé Le déclin du mensonge vint attirer mon attention. C’est de cet essai dont je voudrais parler aujourd’hui.
Oscar Wilde est connu pour ses développements d’idées parfois cyniques, extravagantes ou excentriques . Il le fait notamment tout au long du Portrait de Dorian Grey par l’intermédiaire du personnage de Lord Henry Wotton. Dans son essai, Le déclin du mensonge, publié en 1891, Oscar Wilde nous propose une « mise en garde on ne peut plus salutaire » sur le déclin de l’imagination dans les œuvres artistiques. Ici, le mensonge est vu comme la capacité à imaginer, inventer et être une preuve en soi et non pas seulement à déformer faiblement le réel. Pour lui les « mauvaises
habitudes d’exactitude » et de vraisemblance sont notre « mal contemporain » qui rendent toute œuvre ennuyante et dépourvue d’intérêt artistique car empêchent l’imagination. Or, selon lui, l’Art précède la Nature ainsi que la Vie et « ce que nous voyons, la façon dont nous le voyons dépend des Arts qui nous ont marqués ». Inconsciemment nous observons tout par le prisme de l’Art qui nous influence. En effet, ne nous sommes nous jamais comportés comme les personnages d’un film que nous venions de voir ? N’avons-nous jamais observé certains éléments d’un paysage car nous l’avions vu précédemment dans un tableau ou une vidéo ? Le réel doit être un matériau, pas une méthode, il
faut créer la vie et non pas l’imiter sinon quoi nous allons rester dans un monde sans fantaisie, gris et incapable de se réinventer.
Ce qu’Oscar Wilde nous présente ici n’est ni plus ni moins qu’un nouveau prisme pour aborder les œuvres qui nous entourent et permettre une renaissance artistique. Certes les romans d’Emile Zola ou d’Annie Ernaux parviennent à rendre compte de notre réalité dans toute sa trivialité mais ils ne nous font pas rêver. Les mythes et histoires extraordinaires qui n’ont pas ce souci de vraisemblance et arrivent à atteindre cette suspension consentie d’incrédulité sont alors beaucoup plus efficaces pour traiter de sujets sociétaux parfois explosifs et nous délivrer un message. Cela ne
signifie pas fatalement supprimer toute cohérence et structure dans nos œuvres mais plus simplement remettre en cause le souci de vraisemblance et de réalisme qui empêche les idées nouvelles de se développer.
Il faut aujourd’hui apprendre à revaloriser les menteurs, ceux qui nous offrent des récits, des visuels, des idées qui s’affranchissent de cette méthode réaliste devenue obligation. Les films de Quentin Dupieux n’ont pas besoin d’être explicables pour nous envoûter : en témoigne Rubber l’histoire d’une roue tueuse qui naît dans le désert. Les œuvres de Cyprien Gaillard n’utilisent des éléments très terre à terre que pour nous emmener dans un nouvel espace onirique extraordinaire. L’Art ne vit que pour soi et évolue selon lui-même, il faut que cela reste ainsi. Son abstraction permet
de comprendre l’esprit d’une époque qui le suit. En devenant un simple miroir de notre réalité, l’Art entraînera la chute du rêve, de l’espoir et de notre évolution. Continuons de réinventer notre passé, notre présent et surtout notre futur, peut-être arriverons nous alors a sortir du marasme et de la peur qui progressent un peu plus chaque jour. Lisez Le déclin du mensonge, c’est une merveilleuse porte d’entrée pour se réimaginer soi et le monde qui nous entoure.
Raphaël Guené