À la question « Pourquoi vous droguez-vous », Sagan aurait répondu : « On se drogue parce que la vie est assommante, que les gens sont fatigants, qu’il n’y a plus tellement d’idées majeures à défendre et qu’on manque d’entrain ». Mais on se drogue aussi parce que l’enfance est une utopie, parce que les fleurs finissent toujours par faner, parce que la peur ronge les hommes, que la Terre tourne sans raison autour du Soleil et que le Soleil disparaît à chaque nuit. On se drogue parce que les vautours finissent toujours par ronger nos carcasses, parce que notre individualisme se veut universel, parce qu’on est libre mais qu’on veut être esclave.
On se drogue parce que vivre est une activité mortelle, parce que la joie nécessite la souffrance, qu’on préfère jouir aveuglément plutôt que dépérir consciencieusement mais aussi parce que chaque jour nouveau porte en lui son fruit d’amertume. On se drogue pour vivre plus intensément, pour vivre plus vite, pour que le superflu disparaisse, pour que le beau prenne le dessus sur le laid et pour que le rire s’unisse avec l’oubli. On se bousille la cavité nasale parce que l’on veut être en adéquation avec son temps, parce qu’on refuse nos faiblesses et que l’on veut saisir le présent qui fuit vers le passé. On s’explose les veines pour avoir un lien direct avec ce qui nous maintient en vie, pour entrevoir la vérité dans le flou de nos crânes, pour que se répande en nous l’amertume de nos rêves.
On flirt avec le vice parce que le diable est délicieux, que les sifflements des serpents font les plus belles valses et que danser avec la mort la rend moins terrifiante. On se drogue parce que le vacarme des villes empêche le silence, que les blablas cristallisent la sincérité et que la réalité anéantit la beauté. On inhale parce que l’oxygène ne nous suffit plus, parce qu’on aspire à dissiper les fumées qui nous envahissent et parce que tout ce qui nous entoure s’essouffle continuellement. On boit car le nihilisme est devenu une religion d’État, que l’état de nos vies est à peine concevable, et que l’éclat de nos amours pâlit à chaque instant.
On se drogue parce qu’on veut être nos propres bourreaux, on se drogue pour matérialiser le vide qui nous entoure, pour que le risible envahisse les rues, mais surtout pour que le binaire disparaisse dans la multitude. On se drogue parce que le talent n’existe pas, que le travail ne nous libère plus, et parce que nos chaînes ne nous contraignent pas assez. On se drogue parce que mourir en bonne santé est devenu inutile, parce que le froid tombe trop lourdement sur nos corps, et que l’invisible reste introuvable.
On se drogue parce qu’on n’a rien et parce qu’on a tout. Parce qu’on n’est rien et parce qu’on est tout. Parce qu’on n’est pas assez et parce qu’on est trop.
Bonjour tristesse.
Marceau Vassy